Des branches aux planches, quand Thomas Brail et Patrick Scheyder font l’éloge de la forêt

Des branches aux planches, quand Thomas Brail et Patrick Scheyder font l’éloge de la forêt

Quand il n’est pas dans les branches, Thomas Brail se produit sur les planches. Dans le nouveau spectacle du pianiste engagé Patrick Scheyder, le défenseur des arbres fait l’éloge de la forêt.
06 May 2024
par Hélène Binet
4 minutes de lecture

L’un est pianiste, l’autre jardinier paysagiste. Dans un tout nouveau spectacle, Patrick Scheyder et Thomas Brail font de l’arbre, le combat poético-écolo qui dévoile la forêt des urgences climatiques.

Thomas Brail est un homme perché. Quand il est entré dans nos fils Facebook ou Instagram, c’était systématiquement accroché à une branche. On l’a vu 28 jours niché dans un platane en 2019 en face du ministère de la Transition écologique pour dénoncer l’abattage de platanes à Condom dans le Gers. En 2023, le long du tracé de la future autoroute A69. Puis sur le plancher des vaches de la passerelle Senghor à Paris pour une longue grève de la faim puis de la soif qui lui laisse encore aujourd’hui quelques traces. « J’ai pris un coup, j’ai mal dans le corps mais je reste droit face aux autorités. »

Arbres de vie

Les arbres, pour Thomas, c’est un prolongement de lui-même, presque une seconde peau. « J’ai toujours grandi dans la nature avec des forêts, des ruisseaux, des rochers, confie le jardinier paysagiste devenu aussi arboriste-grimpeur. Chez moi, l’engagement a toujours existé mais il s’est révélé en 2019 quand des arbres devaient être abattus. J’ai pris conscience que les choses ne se passaient pas comme dans mon monde de Bisounours. » 

Thomas se sent investi d’une mission guidé par son métier, sa passion et son intuition et décide de créer le Groupe national de surveillance des arbres une association pour préserver ces êtres végétaux. Aussi, désormais, il prendra les cordes et les baudriers pour aller défendre le vivant. « C’est en grimpant dans les arbres qu’on peut les préserver. »

L’oeil du dico : Ecologie culturelle

À la base, c’est une théorie d’anthropologue (Julian Steward, années 50) : l’idée que les sociétés humaines s’adaptent à leur environnement, et que leur culture (organisation du travail, alimentation, logement…) découle en partie des contraintes de leur milieu. Cette pensée a influencé plein de champs, de l’archéologie au matérialisme culturel, en passant par l’anthropologie écologique.

Mais dans le monde de Patrick Scheyder, pianiste militant, et de Thomas Brail, activiste perché, l’écologie culturelle prend une tournure plus vivante, plus poétique :

 👉 elle met la culture au service de l’écologie,

 👉 elle fait dialoguer art, nature et politique,

 👉 elle reconnecte les humains aux arbres et aux territoires par l’émotion autant que par la raison.

Dans cette version revisitée, jouer du piano dans une prairie ou monter un spectacle pour sauver une forêt, c’est déjà faire bouger les lignes. Parce qu’on ne protège bien que ce qu’on aime. Et qu’on aime mieux ce qu’on ressent.

Qui va écolo va piano

Patrick Scheyder, pianiste depuis l’âge de 5 ans, initiateur du mouvement de l'Écologie culturelle, créateur de spectacles, ne grimpe pas dans les arbres mais les aime tout autant. Les spécimens qui l’ont inspiré se trouvent dans le massif de Fontainebleau qui a été préservé grâce à l’action de George Sand, une artiste dont les travaux résonnent particulièrement chez l’artiste. 

Souvenez-vous… Il y a 150 ans, pour contrer un projet d’abattage de 13298 chênes et 4828 hêtres, la militante des arbres a écrit une tribune visionnaire sur les ravages de l’homme sur la nature et mobilisé une myriade d’artistes autour d’elle. Parce que ce texte est aussi beau que visionnaire, Patrick l’a fait lire dans ses spectacles par des comédiens tels Michaël Lonsdale, Denis Podalydès, le paysagiste Gilles Clément et plus récemment par des activistes comme Camille Etienne.

« Cet engagement pour les arbres et la nature, ça m’a pris il y a une vingtaine d’années, raconte l’artiste à la voix toujours posée. J’ai fait connaissance de la dernière descendante par alliance de George Sand, Christiane, qui avait plein d’objets personnels de son aïeule. On a monté ensemble une exposition puis elle m’a fait rencontrer Gilles Clément qui m’a incité à proposer mes spectacles aux espaces verts des villes. Je crois que c’est là que tout a véritablement commencé. »

Patrick se met alors à passer du temps avec les jardiniers des villes pour comprendre et vivre leur métier jusqu’à sortir son piano dans les prairies urbaines, sans estrade pour mettre son art au ras des pâquerettes. « On est dans le vivant, pas dans le formol. C’était un moyen de rendre l’écologie populaire sans même en parler.»

« Je pense que si je n’étais pas pianiste, je serais jardinier ».

Patrick Scheyder

À la croisée des chemins

Les deux hommes, à la quinzaine d’années de différence, aiment les arts, les arbres et ont également comme point commun celui de se laisser mener par le bout de leur intuition. Leur rencontre sera guidée par le sixième sens de l’évidence. Patrick, qui a découvert Thomas par ses vidéos virales au moment de la lutte contre l’A69, est persuadé qu’ils ont des choses à faire ensemble. Il prend contact avec celui qu’on surnomme l’écureuil et lui propose de se voir sans donner trop de détails. « Quand il m’a appelé, se souvient Thomas, son nom me disait quelque chose, dans ma bibliothèque, j’avais son livre « Des arbres à défendre! " sur la lutte pour la forêt de Fontainebleau ( Ed. Le Pommier) » Il est des signes qui ne trompent pas.

En prenant le train pour le Tarn, Patrick a une idée : monter un spectacle pluridisciplinaire autour de l’arbre, conte écologique fait de multiples tableaux qu’il présentera lors de la Nuit Blanche le samedi 1er juin devant l’Académie du climat et embarquer Thomas Brail dans son aventure. « Je me suis fixé sur l’arbre, arbre tutélaire, arbre symbole qu’on peut restaurer. J’avais envie de mêler métamorphose, décomposition, recomposition. De refaire un peu le monde à l’envers. » « La proposition de Patrick est tombée à pic, confie l’activiste. Ça me trottait dans la tête de faire des choses théâtrales. La lutte sur le terrain est usante. J’avais envie de quelque chose de joyeux. » Le paysagiste qui joue de la musique depuis 30 ans, qui a écrit une pièce de théâtre, organisé un festival pop rock programmé dans un pré garde le secret de son intervention. On sait juste qu’elle commencera dans un arbre. Forcément.

La vie est une fête ?

Dans cette création inédite, il y aura la musique d'Iman, compositeur de  Damso, un mapping sur la façade de l’Académie du climat, des sons de Lémofil, une carte blanche offerte à Thomas Brail…  « Ca se terminera comme une fête, » prévient Patrick sans en dévoiler davantage.

Et pour les enjeux écologiques du moment, l’issue sera aussi heureuse ? Pas si sûr mais pour les deux protagonistes la question n’est pas là. « Je fais tout ça pour protéger mon fils, explique Thomas. J’ai fait partie de cette génération qui a usé de tout. C'est un peu ma dette que je paye tous les jours. La génération que je connais est celle qui lutte, qui est sur le terrain, dans le froid, dans les ZAD. Je me dois d’être exemplaire pour eux. » « On joue notre rôle d’adulte, on assume, poursuit Patrick. Je suis inquiet parce que les 20/30 ans n’arrivent pas à imaginer le monde qu'ils voudraient. Tout ce que je fais, c’est pour les aider à trouver ce qu’ils veulent mettre dans leur destinée. » À vos arbres, prêts, rêvez !

Ce qu'il faut retenir :

L’un monte aux arbres, l’autre joue du piano sur les prairies. Ensemble, Thomas Brail et Patrick Scheyder font de la forêt une scène où se croisent luttes écologiques et récits sensibles. Leur spectacle célèbre l’arbre comme symbole politique, poétique, vivant. Et comme une invitation à repenser notre rapport au monde.

Entre engagement physique, héritage littéraire et performances artistiques, les deux complices défendent une écologie qui s’écoute, qui se vit, qui se ressent. Un duo inattendu qui nous rappelle que militer, c’est aussi créer. Et qu’au bout des racines, il y a des rêves à replanter.