Versailles c’est fini ! Cet hiver et tous les suivants, il va enfin falloir être sobre énergétiquement parlant. D’accord mais pourquoi maintenant et comment ? Olivier Sidler, expert énergétique et cofondateur de Négawatt a répondu à toutes nos questions, chiffres et carnets à l’appui.
Olivier Sidler, cofondateur de Négawatt
Dans sa campagne spécial sobriété “je baisse, j’éteins, je décale”, le gouvernement nous invite à décaler nos consommations d’énergie, pourquoi ?
Globalement, à la maison, on utilise de l’énergie soit pour alimenter nos appareils électroménagers (lumières comprises) soit pour se chauffer. Pour se sécher les cheveux, allumer notre petite lampe du salon ou faire tourner notre machine à laver, en tournant un simple bouton ou en branchant une prise, on appelle une puissance qui doit au même moment être produite dans une centrale. C’est du circuit court, directement du producteur à l’utilisateur, l’électricité n’étant stockée nulle part.
En France, cette électricité est produite à 67% par nos centrales nucléaires qui contribuent à ajuster en permanence la production à notre demande, ce qui est assez pratique. Sauf qu’une fois qu’elle est produite, l’électricité, contrairement au lait UHT, ne se stocke pas, il faut la consommer sur le champ.
En temps normal, avec 56 centrales nucléaires sur notre territoire, on passe l’hiver sans trop d’encombre. Le problème cette année, c’est qu’aujourd’hui près de la moitié des centrales sont à l’arrêt et le conflit russo-ukrainien n’y est pour rien. En effet, un quart d’entre elles subissent des examens de passage pour pouvoir prolonger leur durée de vie de 10 ans (le covid a prolongé cette période de vérification). Pour le quart restant, le motif est plus préoccupant, les centrales rencontrent des problèmes de corrosion sous contrainte, et des conduites du circuit de refroidissement de secours des réacteurs sont fissurées. Et là, l’arrêt et la réparation sont impératifs.
Résultat des courses ? Cet hiver, EDF et les autres fournisseurs d’électricité n’ont pas la capacité de produire un niveau de puissance électrique suffisant et risquent de ne pas pouvoir contenter tout le monde aux heures de pointe. Parce que quand les 67 millions de Français voudront au même moment des watts pour cuisiner, prendre une douche ou faire tourner leur machine à laver, les centrales ne pourront physiquement pas fournir. C’est pour cette raison qu’il faut dé-ca-ler, répartir la demande tout au long des 24 heures que compte une journée.
OK, on décale mais à moins de passer à l’heure anglaise ou aux sandwichs triangles toute l’année, on a quoi comme options ?
En 2022 (c’était différent il y a quelques années quand l’industrie tournait à plein régime), les heures où la demande en électricité est la plus forte se situent le matin entre 7 et 8h30 et le soir entre 19h et 21h. L’idée c’est de ne pas trop en demander à nos centrales à ces heures-là et, dans ces créneaux, de ne privilégier que le minimum d’usages à la fois. Si vous télétravaillez, vous pouvez en profiter pour lancer vos machines à laver le linge ou la vaisselle pendant les heures moins chargées de la journée (et rester en pyjama sans vous laver, suggestion de la rédaction). Vous pouvez aussi programmer vos appareils pour la nuit.
Aussi, le soir lorsque vous cuisinez, n’allumez pas toutes les plaques au même moment, nos centrales ne s’en remettraient pas. Lorsqu’on fait fonctionner les 4 feux en même temps, la demande en électricité de notre cuisinière (de 7 à 10 kW) est deux fois plus importante que celle du chauffage électrique d’un logement récent de 80 m2.
On va utiliser moins d’électricité et pourtant nos factures vont augmenter, c’est quoi l’embrouille ?
Si nos factures augmentent cette année, c’est parce que la moitié de nos centrales sont à l’arrêt et qu’on doit notamment fabriquer et importer de l’électricité produite dans des centrales à gaz. Or, et cette fois-ci Poutine y est pour quelque chose, le prix du gaz a considérablement augmenté du fait du conflit ukrainien. Résultat, cette année, le prix de l’électricité a été multiplié par 4,5 soit une hausse de 350 %. Sur nos factures, cette flambée n’est “que” de 15%, l’État ayant choisi de compenser cette augmentation avec le bouclier tarifaire qui va prendre 44 milliards d’euros à sa charge. 44 milliards d’euros, c’est 11 années de financement d’un prêt à taux zéro par l’État permettant la rénovation de 700 000 logements par an, soit près de 8 millions de logements rénovés au total, ça fait réfléchir.
Est-ce qu’on va manquer de gaz cet hiver vu qu’on en importait 20% de Russie ?
Pour cet hiver, ça devrait passer. Cet été, l’État a pris les devants et a fait le plein de gaz qui est stocké dans d’énormes réservoirs souterrains. En revanche, il va être désormais compliqué de refaire les stocks. Les grosses pénuries sont prévues pour l’hiver 2023, c’est pourquoi il est important de prendre les devants et de faire des économies dès à présent.
S’il n’y avait qu’un seul effort à fournir pour réduire notre consommation d'énergie chez soi, ça serait quoi ?
Le geste le plus efficace c’est de baisser le chauffage. En moyenne, dans les logements en France la température est de 21°C. Or un degré de moins c’est 8% de consommation économisée sur l’ensemble du parc immobilier. C’est 7% si votre logement date d’avant 1975 et jusqu'à 20% dans les maisons passives. Bref, c’est facile, il suffit de mettre votre thermostat sur 19°C, d’enfiler un gros pull et des chaussettes et la partie est presque gagnée. Si tout le monde passait son chauffage à 19°C on économiserait 16% d’énergie, le jeu en vaut la chandelle non ?
Aussi, pour les jusqu'au boutistes, il y a encore un petit truc à régler pour réduire encore un peu plus sa consommation d’énergie : la pompe de votre chaudière (qui consomme de l’électricité). Dites à votre chauffagiste : « Je voudrais que lorsque le thermostat d’ambiance coupe le brûleur de la chaudière, il arrête aussi le fonctionnement du circulateur » et par un jeu de câblage, il devrait vous régler tout ça.
Et si on n’a pas de thermostat on fait comment ?
Les logements construits après 1982 doivent avoir un thermostat d’ambiance. Si le vôtre est plus ancien, vous pouvez en faire installer un, ça coûte de l’ordre de 100 euros (prendre un modèle très basique, c’est suffisant). Sinon vous pouvez acheter un thermomètre et jouer avec les robinets de vos radiateurs pour obtenir la bonne température. C’est assez approximatif mais ça fonctionne. Dans tous les cas, ne faites pas le yoyo des températures en éteignant la nuit et en remettant à fond la journée, il vaut mieux une température basse et stable la nuit ou en votre absence la journée.
Enfin, petite astuce qui vaut aussi pour tout le monde, la suppression des courants d’air. Installez des bourrelets sous les portes (ces boudins peuvent même être décoratifs) et posez des joints de fenêtres. Vous y gagnerez en facture et en confort.
Et si on habite dans un logement collectif ?
Là c’est vrai, on n’a pas vraiment la main sur son chauffage. On peut néanmoins fermer les robinets des radiateurs plutôt que de vivre en tee-shirt avec les fenêtres ouvertes. Mais la gestion des 19°C est à la charge de la société qui fait l’exploitation de l’installation de chauffage. Il faut régler la “loi d’eau” c'est-à-dire le niveau de la température de l’eau de chauffage en fonction de la température extérieure.
Il paraît que si on limite sa consommation d’eau, on limite aussi sa consommation d’énergie, c’est de la magie ?
Dans une maison ou un appartement récent, le poste d’eau chaude est presque aussi consommateur d’énergie que le chauffage. Chaque fois qu’on tire de l’eau, le chauffe-eau se met en route pour, comme son nom l’indique, chauffer l’eau. Pour consommer moins d’eau et donc mathématiquement moins d’énergie, on peut installer des réducteurs de débit calibrés au nez des robinets (choisir les modèles 4 l/min). Ils coûtent entre 3 et 5 euros et permettent d’économiser en moyenne 24% sur le poste énergie de l’eau chaude sanitaire, à quoi s’ajoutent encore les économies d’eau. Évidemment on arrête aussi de faire couler l’eau quand on fait la vaisselle, se rase ou se brosse les dents.
Aussi, pour éviter à son ballon de se refroidir en permanence, on peut lui enfiler une sorte de chaussette-manteau qu’on appelle jaquette de chauffe-eau, c’est très efficace. Si on est bricoleur ou bricoleuse on peut même la fabriquer soi-même (prévoir une épaisseur de 10 cm d’isolant).
Si on résume, niveau électricité on décale, côté gaz ça va passer pour cette fois-ci et pour le fioul ça donne quoi ?
Le fioul pour certains c’est un mode de chauffage, pour d’autres un carburant. Dans tous les cas, il va falloir limiter la consommation parce qu’on en a moins à cause de la suspension des importations russes. La première chose à faire est de lever le pied sur la route. Passer de 130 à 110 km/h permet d’économiser 25 % de carburant et n’ajoute que 8 minutes de trajet supplémentaire pour 100 kilomètres. Dans le même esprit, passer 90 à 80 km/h sur les routes, c’est 14% d’économies. Pour le fioul destiné au chauffage, il ne devrait pas y avoir de pénurie cet hiver, mais des difficultés de logistique et d’acheminement qui ont fait doubler son prix.
Il y a quelques mois, la ministre Agnès Pannier-Runacher a parlé du poids énergétique des emails avec pièces jointes, c’est quoi les trois bonnes pratiques à adopter sur le sujet ?
J’ai fait les calculs à partir des données de l’Ademe et ce qu’il faut globalement retenir c’est qu’un ordinateur fixe (avec une tour) est trois fois plus gourmand en énergie qu’un smartphone pour envoyer un email simple.
Quand on rentre dans le détail, lorsqu’on envoie des emails avec une petite pièce jointe d’un méga octet, la consommation d’électricité totale (data centers, cloud, terminal, etc.) est multipliée par 7 à 10 par rapport à un simple mail tout bête sans rien. Si cette pièce jointe fait 5 mégas (soit deux photos environ), l’envoi est encore 9 fois plus énergivore que celui d’une pièce jointe de 1 méga. Évidemment, les consommations sont les mêmes lorsque l'on envoie des photos par mail, whatsapp ou snapchat. Je confirme donc ce qu’a dit la ministre : les pièces jointes peuvent augmenter considérablement la consommation d’électricité.
Pour finir, du côté du streaming, ça donne quoi ?
L’ultra-définition (4K-HD) demande deux fois plus d’énergie que la haute définition qui, elle-même exige 4 fois plus d'énergie que la basse définition. Pour les visios, on est à peu près dans les mêmes proportions. Une visio sans image consomme 4 fois moins qu’une visio avec image basse définition.
Tous ces chiffres ne doivent pas cacher la vraie grosse dépense énergétique des appareils digitaux qui est celle de l’énergie grise nécessaire pour fabriquer nos smartphones, ordinateurs, tablettes… Dans l'idéal, il faudrait pouvoir garder son ordinateur au moins 20 ans.
Un dernier conseil pour la route ?
La meilleure énergie est celle qu’on ne produit pas. Aussi, faites la chasse au gaspi et le tour de votre chez vous pour débrancher tout ce qui peut l’être. Mettez des prises à interrupteur là où vous avez des appareils en veille et éteignez-les dès que vous ne vous en servez pas. Les veilles c’est 320 kwh de consommation par an et pas logement !