Fait-il bon vivre sur Terre ? Pour donner envie aux extra-terrestres de faire un échange intergalactique avec nous, Valérie a sorti sa plus belle plume dans le cadre du concours d’écriture Bonne Vie et s’adresse aux êtres de l’au-delà.
Hoy Bianca,
On a relu ton texte, et on t’a laissé quelques annotations (entre parenthèses) en-dessous. Je dis “on”, ça concerne, Amélie, James, Rodrigo et moi. Mélusine - notre IA à la maison - a validé tous les concepts point par point. Pas d’inquiétude donc, tes interlocuteurs pourront saisir tout ce que tu évoques.
Il est temps pour nous aussi de retourner au Trèfle. On n’a pas encore effectué notre service, je sens qu’on va prendre une pénalité si ça continue. Ce qu’on peut être à la ramasse ! Tu comptes faire quoi de ce texte pour les “Extras” ? On s’est souvenu qu’ils aimaient bien les vidéos qui leur avaient été envoyées avec un décodeur, comme après le Contact.
On sait à quel point tu es à fond sur cette question de l’échange. On est de tout cœur avec toi - n’écoute pas les critiques !
Bonne chance, et merci pour nous tous.
J.
“ICI AMI”.
Voilà les mots au commencement de tous nos échanges. Ces mots voulaient dire toute la bienveillance, immédiate et recherchée, qui vous animait. Ces mots, voilà longtemps que nous ne les avons pas prononcés ensemble depuis notre travail sur le programme d’échange. Je ne souhaite pas vous obliger. Car votre obligée aujourd’hui c’est moi. Je ne souhaite pas vous contredire, car vos résistances forcent mon altérité. Je prends une place ici grâce au rôle d’ambassadrice qui est le mien. Cette voix n’est pas la mienne, c’est celle de toutes celles et ceux que j’ai l’honneur de représenter, quelle que soit leur langue sur Terre, quelle que soit leur organisation.
Votre réticence je l’accueille aujourd’hui avec optimisme, car elle laisse entendre que la part la moins flatteuse de l'humanité, celle que nous combattons au quotidien, est celle que vous ne sauriez voir. Elle nous encourage à cultiver ce qu’il y a de bon, à prendre conscience de l’importance de notre rencontre. Ainsi, je vois en vous l'espoir d’une empreinte positive au sein de nos sociétés car vous êtes porteurs des valeurs les plus importantes à nos yeux. Celles qui apportent la vie. Celles que nous défendons contre l’avilissement, le chaos, la guerre, la torpeur des hommes.
Notre programme a été conçu en ce sens, en étroite collaboration avec vos représentants que je me fais un plaisir de saluer de nouveau.(J : évite les représentants ça fait trop officiel, c’est emmerdant). Le dialogue établi m’a confirmé que nous pouvons dépasser nos singularités au profit d’un objectif commun : préserver la vie. J’ai appris l’histoire de vos communautés. J’ai découvert l’observation que vous avez menée pendant des années. Je sais que vous avez contacté la Terre après des années de lutte. Je sais que vous avez eu la chance de survivre grâce à d’autres peuples qui vous sont venus en aide. Cette chance ne peut-elle se produire une deuxième fois dans notre univers ?
La découverte de votre existence a généré, ici-bas, une palette de réactions à l’image de notre espèce. D’abord, une grande surprise : “Ils existent ! C’était donc vrai! ”. Puis une curiosité insatiable : “qui sont-ils, à quoi ressemblent-ils, que recherchent-ils, d’où viennent-ils ?” Beaucoup d’envie, aussi : “que pouvons-nous leur apporter ? Que pouvons-nous faire avec eux ? ”. (J: tu peux parler de l’impatience, après les premiers contacts, les gens étaient dingues) Je dois vous avouer la peur qui s’est emparée de nombre d’entre nous :” un affrontement se prépare-t-il ?” Une peur générée par nos propres erreurs d’espèce : la conquête, l’exploitation des ressources, l’avilissement du grand nombre au profit de quelques-uns. Oui, les êtres humains sont capables du pire. Et votre civilisation s’en est émue. (R: de la colère même, on a failli les perdre). Évoquer nos peurs me rappelle tout à coup qu’il est un sentiment intime dont je ne vous ai pas encore fait part. Au début de nos échanges, à la première communication établie, j’ai ressenti un immense soulagement. Enfin, me suis-je dit, enfin, nous ne sommes plus seuls. A cela s’est ajouté ensuite de la joie. Je veux préserver cela en vous offrant ce qu’il y a d’espoir sur Terre. Il se trouve dans le lieu de notre programme. Laissez-moi vous raconter.
Conscients de leurs faiblesses et de leurs erreurs, les hommes ont créé un espace pour honorer la Vie : le village du Trèfle. C’est notre deuxième chance. Ce lieu unique est aujourd’hui préservé pour mener une existence à l’opposé de ce qui nous a mené à la Grande Catastrophe. Tous les humains n’y ont pas accès aujourd’hui. Certains ne le connaîtront jamais. Mais personne n’oserait décliner l’invitation si elle leur était faite. Le programme que je vous propose est donc singulier, et fondé sur une valeur prépondérante : le Partage. Les émissaires seront installés dans des maisons. Vous découvrirez des tables sur lesquelles sont rassemblés les mets qui ont survécu à la Catastrophe, ainsi que ceux apportés par votre délégation. Les cuisiniers humains seront préparés à régaler les nouveaux venus, selon un métissage culinaire unique ! Derrière ces maisons, une fois repus, certains trouveront, pour eux, un jardin. Imaginez des heures, allongés sous la cime des arbres, le bruissement clair des feuilles au passage du vent. Le jardin recèle quantité de trésors dont l’existence n’est ni due ni acquise. Comme toute forme de beauté, ce lieu demande observation, patience, et engagement. Sa permanence est le fruit de notre courage, de nos espoirs, et de notre lucidité vis-à-vis de nos propres manquements d’espèce. (pourquoi tu ne parles pas aussi des cultures, des saisons qui passent, de toutes les idées qu’on met en place là-bas, des rencontres ?)
Nous serions environ vingt à vivre cette expérience unique. Dix ici, dix là-bas. Environ. Je parlais plus haut du Partage. Il sera au cœur de nos échanges, cela est sûr. J’aimerais croire que ce Partage saura nous emmener vers une autre dimension, qui défie l’espace, le temps, la physique. Je voudrais vous emmener vers un sentiment, le plus puissant qui soit. Les humains l'appellent l’Amour. Cet Amour, je vous invite à le cultiver volontiers aujourd’hui, si tant est que vous acceptiez mon humble invitation. Car ce que je vous propose dans ce village, c’est le cœur des hommes, dans ce qu’il a de plus complexe, et d’intime.
Mon plus grand souhait est que vous compreniez que vous n’êtes pas des visiteurs, ni même des invités. Je souhaite de tout cœur, à travers cet échange, vous convaincre que nous appartenons au même écosystème, en une seule et même fratrie d’espèces actives pour le Vivant. Je vous propose ici, non pas d’échanger des biens, ni de profiter d’une propriété. Je vous invite à partager une histoire qui mobilise le meilleur de tous, pour inspirer nos communautés vers la bienveillance, la paix, la coopération. Toutes ces choses sur lesquelles nous appuyer pour faire durer le vivant. L’élan vital appartient aux espèces qui savent le cultiver.
J'aurais, cela dit, une exigence. Je veux que vous preniez soin de nos êtres humains, aussi, une fois sur votre planète. Je sais à quel point notre espèce est craintive. Je vous demanderais de nous traiter avec les mêmes égards. (ouais, c’est pas mal de le préciser quand même !)
Chers amis, si vous en êtes persuadés à l’issue de ma longue présentation, nous pouvons devenir ensemble une fratrie. C’est le lien le plus sacré qui soit entre membres de notre espèce. Un jour nous serons capables de nous voir en semblables, en une famille réunie par le même élan. À votre arrivée, la Terre vous apparaîtra bleue, froide. En rentrant chez vous, elle ressemblera de nouveau à une étoile dans le ciel. Peut-être cette étoile la considérerez-vous au prisme de l’histoire que nous aurons partagée ensemble. Pour nous, il s’agira de regarder l’autre comme un espoir, un sursaut de la vie qui appelle la vie, et non pas comme une curiosité menaçante. Ce sera la plus grande réussite de tous nos efforts jusqu’à présent. Ce sera, je l’espère, l’issue d’une rencontre unique, exceptionnelle, entre deux espèces au service du vivant, résolues à partager le meilleur d’elles-mêmes, quoiqu’on en dise.
Merci Edwina Bassil pour les images.