La bifurcation n’est pas forcément un événement ponctuel ; c’est parfois un art de vivre. Certains bifurquent à gogo, zigzaguent dans l’existence en quête de rêves toujours nouveaux… Roshni fait partie de ceux-là, chez qui la route la meilleure est celle qui fait le plus de détours.
Un début dans l’industrie pharmaceutique
D’origine britannique, Roshni fait ses études à Bradford, avant de “commencer une histoire d’amour avec la France” lors de son premier stage à Paris. Une fois son diplôme en poche elle s’installe naturellement dans la Ville Lumière. “Je croyais rester deux ans”, dit-elle, “j’y suis resté toute ma vie !”
Sa carrière commence dans une grande entreprise pharmaceutique, dont nous tairons le nom pour des raisons légales. Nous l'appellerons donc Médicament®.
Chez Médicament®, Roshni travaille pendant quatre ans dans les affaires industrielles avant de passer en audit interne, ce qui lui donne un point de vue plus complet mais peu ragoûtant du secteur. “Je me suis rendu compte que c’était un peu dégueulasse, l’industrie pharmaceutique.” Dégueulasse comment ? “On a soudoyé les médecins pendant des années, les médecins influents dans le milieu…"
Cette pratique est un peu plus encadrée de nos jours. Mais Roshni pointe une autre dérive, toujours actuelle : “On faisait constamment de minuscules changements de formulation, pour garder les brevets et doper les ventes ; au final, on vend du paracétamol mais sous des formes différentes qui n’ont pas d’utilité.”
Première bifurcation : un bref passage en RSE
Roshni demande alors un mutation pour le département RSE, sans se faire beaucoup d’illusions - “Je me doutais que ce serait un outil de communication.” Pourtant, Médicament® parvient à la surprendre en se révélant pire que prévu. Quand on lui demande d’augmenter la marge d’un antipaludéen vendu en Afrique sub-saharienne, Roshni jette l’éponge et négocie une rupture conventionnelle.
Son expérience en RSE lui a quand même été utile : elle sait désormais qu’elle veut s’engager dans une organisation humanitaire, mais pas n’importe laquelle. Sur le terrain, elle a vu beaucoup d’ONG et agences de développement à l'œuvre… Pour le meilleur et pour le pire.
“Beaucoup d’organisations fonctionnent grâce aux subventions, du coup ça limite leur marge de manœuvre. Elles se retrouvent à passer leur temps à suivre des indicateurs à deux balles pour dépenser de l’argent. Je l’ai vu faire. Il y a des organisations qui se disent : faut qu’on dépense tout, sinon l’année prochaine on n’aura pas le même budget.”
Son choix se porte donc sur MSF (Médecins Sans Frontières), qui fonctionne grâce à ses fonds propres, levés chez des particuliers. Un système assez rare dans le milieu de l’humanitaire.
Deuxième bifurcation : l’humanitaire
Chez MSF, Roshni passe par plusieurs postes : administrateur RH, finance, et même coordinatrice de projet dans un hôpital au Kenya. Ce cheminement, plein de virages et de détours, l’amène à se questionner sur le fonctionnement du monde. Elle voit le confort obscène des uns, le dénuement des autres. Et puis, elle découvre que l’ONG n’est pas exempte de tout défaut…
“Même dans l’humanitaire, il y a parfois des abus, des dérapages….” Elle questionne également sa propre place et craint de rejouer certains rapports néo-coloniaux auprès des populations qu’elle veut aider. Alors, une fois encore, Roshni claque la porte et bifurque vers un nouvel horizon.
Troisième bifurcation : déménager pour un éco-lieu
En février 2022, de retour du Kenya, Roshni se met au chômage et décide de quitter Paris. Ses expériences lui ont permis d’avoir le cuir tanné. “J’ai vécu à l’étranger dans des conditions très simples. Je n’ai plus besoin d’une grande ville.”
C’est le début d’une nouvelle quête. Elle explore le Sud et visite des éco-lieux - notamment l'association Tera, dans le Lot-et-Garonne. Elle fait du woofing en Camargue, et des chantiers participatifs. Au printemps, elle découvre enfin son coin de paradis : ce sera la commune de Lodève, en Occitanie. C’est là qu’elle découvre l’Ilot vert de la Soulondres, un collectif de citoyens engagés pour sauver un beau terrain de la bétonisation. Sur 10% ils construiront 21 logements écologiques (dont la moitié de logement social), et laisseront les 90% restants à la Nature et l’Agriculture.
Les travaux commenceront bientôt et devraient durer 2 ou 3 ans. D’ailleurs, le collectif cherche encore des volontaires pour rejoindre l’aventure si le cœur vous en dit.
Roshni, elle, continuera sûrement d’écouter le sien. “La sérénité”, dit-elle “c’est pas ce que je cherche. J’aime bien sortir de mes zones de confort, changer d’environnement. Il ne faut pas avoir peur et suivre ses convictions.”
Jusqu’à la prochaine bifurcation ?