Comment elle va la forêt française ?

Comment elle va la forêt française ?

Nos forêts ont de plus en plus de mal à capter du carbone, ce qui est bon ni pour leur santé ni pour la nôtre. On vous explique.
28 August 2024
6 minutes de lecture

Hello la forêt, ça va bien ? Euh franchement c’est pas trop la folie. Les arbres de l’Hexagone ont de plus en plus de mal à capter du carbone, ce qui est bon ni pour la santé de la forêt ni pour la nôtre.  On vous explique ?

En mai dernier, sortait un rapport de référence, le dernier rapport SECTEN*. Les nouvelles ne sont pas au top pour les forêts françaises qui représentent le premier puits de carbone du pays. En 10 ans, nos forêts ont perdu la moitié de leur capacité de capter du carbone dans l’atmosphère pour le transformer en oxygène via la photosynthèse. En cause, le dérèglement climatique qui prolonge les périodes de sécheresse et provoque chez les arbres un stress hydrique important. Mettez en face, la multiplication des incendies et les forêts seront peut-être très bientôt émettrices de CO2. Un comble et une information qui a de quoi nous inquiéter quand on sait qu’une grande partie des plans de compensation carbone intègrent la forêt comme alliée principale. 

Une mosaïque de forêts…

Commençons par planter le décor. En France, les trois-quarts de la forêt appartiennent à des propriétaires privés, c’est-à-dire des individus ou des entreprises, le quart restant représentant les forêts publiques comme celles des Parcs Nationaux, les forêts domaniales qui sont propriétés de l’État, ou les forêts communales, qui sont détenues par les collectivités locales. Les forêts publiques sont gérées par l’ONF à des fins de conservation ou d’accueil du public, mais concentrons-nous plutôt sur les forêts privées.

Selon les derniers chiffres du CNPF (le centre national de la propriété foncière), l’organisme d’état chargé d’accompagner les propriétaires privé dans la gestion de leur forêt, il y aurait plus de 3,3 millions de propriétaires forestiers en France, dont la majorité (66%) posséderait moins de 1 hectare, et l’immense majorité (96%) moins de 10 hectares. Seuls 50 000 propriétaires sont en possession de plus de 25 hectares. Ces chiffres s’expliquent par les héritages successifs des grandes familles, qui divisent le bien à chaque génération.

… qui conduit à des écosystèmes fragmentés

La forêt se fiche des lignes imaginaires qui délimitent le terrain des propriétaires. Tracées sur une carte, dans la plupart des cas, elles n’ont même pas de représentation physique. En revanche, c’est plus embêtant lorsque les propriétaires de différentes parcelles d’une même forêt, ne s’entendent pas sur le mode de gestion de cette dernière. Un propriétaire peut décider d’exploiter son bois, là où son voisin voudrait recréer un îlot de biodiversité, à quelques centaines de mètres d’un troisième, qui souhaite organiser des parties de chasse avec ses amis. Et c’est sans compter les propriétaires forestiers qui ne sont même pas au courant qu’ils ont une forêt !

Ce phénomène de mosaïque forestière qui menace l’équilibre des écosystèmes forestiers, est exacerbé par le fait que les propriétaires de forêts de moins de 25 hectares ne sont pas dans l’obligation de fournir un Plan Simple de Gestion (PSG) : un document qui reprend les objectifs de gestion sur les décennies à venir - et qui ne concerne que 50 000 personnes. C’est un peu comme si dans une copropriété, chacun pouvait faire ce qu’il voulait sans se soucier du collectif. Pour faire face à cet enjeu, les acteurs locaux comme les Parcs naturels régionaux regroupent des propriétaires autour de chartes forestières afin d’homogénéiser les pratiques autour d’un ou plusieurs massifs forestiers.

La malforestation, petite sœur de la déforestation

Depuis 200 ans et l’instauration du nouveau code forestier en 1827, la “forêt” gagne du terrain en France. Vous avez vu les guillemets ? S’ils sont là, c’est parce qu’il y a débat sur le fait que ce soit des forêts qui se développent en métropole, ou plutôt des champs d’arbres. Explications.

Les forêts ont mille et une fonctions qu’on peut résumer en trois types de services.

  • La production de bois : bois d'œuvre pour les charpentes et le mobilier, bois d’industrie pour les palettes, les cagettes et le papier, bois énergie pour chauffer ou faire de l’électricité.
  • L’accueil du public : que ce soit pour se promener, cueillir des champignons, organiser des compétitions sportives, chasser ou encore faire des câlins aux arbres - la forêt fait partie du quotidien de nombreux Français et Françaises.
  • Les services écosystémiques : protection de la biodiversité (80% de la biodiversité dans le monde s’est réfugiée dans les forêts), filtration et stockage de l’eau, fertilisation des sols, captation carbone… la liste est longue !

Gérer durablement une forêt, c’est donc prendre en compte ces trois aspects et les faire cohabiter. Ça c’est la vision idéale. Dans la réalité, on alloue plutôt l’une ou l’autre fonction à nos forêts (et non les trois à la fois).

Du côté des services écosystémiques, on retrouve les forêts dites “en libre évolution” : associations et citoyens rachètent des forêts pour les laisser tranquilles, en gros, et favoriser la biodiversité.

De l’autre côté, on retrouve une gestion industrielle de la forêt destinée à maximiser la production de bois au travers de pratiques sylvicoles destructrices (monoculture, coupe rase, pesticides…). Selon le dernier rapport IGN, 14% des forêts françaises seraient en fait des plantations.

Le dérèglement climatique met à l’épreuve la résilience des forêts

L’année dernière, près de la moitié des incendies qui ont frappé la France métropolitaine se sont déclarés dans les Landes de Gascogne, la plus grande forêt artificielle d’Europe. Avec plus d’un million d’hectares de plantations aujourd’hui, principalement du pin maritime, sa superficie a été multipliée par quatre, depuis le XVIIIème siècle pour fixer les dunes, construire des mâts de bateaux ou encore offrir de l’ombre aux éleveurs et leurs troupeaux.

Ces feux, qui sont la conséquence d’un climat de plus en plus chaud et sec, nous amènent à nous questionner sur l’impact de nos modes de gestion sur la résilience de la forêt, soit sa capacité à résister et à s’adapter à des facteurs externes dégradants : parasites, maladies, intempéries… Si ces épisodes traumatiques ont toujours fait partie de la vie des forêts - ce sont leur fréquence et leur dimension qui inquiètent à l’heure actuelle

La forêt a 350 millions d’années, elle en a vu d’autres.  Chacune des crises qu’elle a traversées a duré plusieurs centaines de milliers d’années, laissant le temps aux arbres de s’adapter via la sélection naturelle. Même au sein des espèces, certains individus sont plus résistants au chaud ou à une maladie. En survivant et en se reproduisant, ils s’assurent que la génération suivante soit mieux préparée aux dangers qu’elle va subir. Le problème, c’est que notre crise écologique à nous, se déroule sur un laps de temps vraiment très court à l’échelle de la planète. Les forêts arriveront-elles à s’adapter assez vite à ces nouvelles conditions climatiques ?

Quelle place pour l’homme face à ces enjeux ?

Trois courants de pensée se mélangent au sein du petit monde de la forêt : les interventionnistes, les aidants et les absents. Les interventionnistes veulent prendre les devants et, accompagnés par la recherche, réfléchissent aux nouvelles essences à planter dans les forêts. Des essences qui proviennent de régions plus chaudes et qui résistent mieux aux sécheresses à venir, dans l’idée de continuer à produire le volume de bois pour couvrir les besoins nationaux. Les aidants ont confiance dans la capacité d’adaptation des forêts, mais ne s’interdisent pas de lui donner des coups de pouce en favorisant les modes de gestion à couvert continu et en diversifiant un maximum les essences pour se rapprocher des conditions d’une forêt naturelle. Enfin, les absents choisissent de laisser à la forêt le temps de s’adapter, loin de l’homme et de ses intérêts économiques, politiques et sociales…

*rapport de référence réalisé par l’association CITEPA qui présente en détail les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France depuis 1990.