« Euuuuh.. Pardon ? Notre quoi ? De quoi nous sommez-vous ? Quelle est donc cette notion que nous ne saurions comprendre ? » Ok Jean-Eude, ne vous mettez pas la rate au court bouillon, tout va bien, on vous explique !
C’est la journaliste américaine Emma Pattee qui pense ce concept en 2021. Son objectif : faire en sorte que l’on réalise « comment la somme des choix de notre vie influence l’urgence climatique ». Pour cela, elle prend en compte les comportements humains non (ou difficilement) quantifiables : il s’agit de tout un éventail de choses qui font notre quotidien, comme notre utilisation du chauffage, notre mode de transport préféré, en passant par notre lieu de travail, notre famille, nos centres d’intérêt ou la manière dont nous parlons ou non d’écologie.
Si Emma Pattee parle de tout cela comme d’une « ombre », c’est parce qu’elle image la notion en parlant d’ « une forme sombre qui s'étend derrière vous » et qui « vous suit partout où vous allez ». Une somme de nos faits et gestes, qui nous colle aux basques qu’on le veuille ou non. Même si la dénomination sonne un peu négative, notez que ce n’est pas forcément le cas, au contraire même : plus votre ombre est grande, plus vous êtes sur la bonne voie.
Pour calculer l’inquantifiable, Emma Pattee propose de s’intéresser à trois grandes catégories : la consommation, les choix, et l’influence. La consommation, c’est notre utilisation de la clim, du chauffage, notre rapport aux commandes en ligne,... et tout ce qui est déjà comptabilisé dans l’empreinte carbone.
Les choix englobent la manière dont on décide d’investir notre argent, le nombre d’enfants que l’on a, ou encore, le type de travail que l’on fait.
Enfin, la notion d’influence, aussi appelée « attention », désigne le temps que l’on consacre aux questions climatiques, la manière dont on en parle autour de nous pour sensibiliser ou pas. Plus ces trois domaines se rapprochent d’un mode vie vert, plus l’ombre grandit.
Ça remplace l’empreinte carbone ?
Selon certains écologistes : non, ça ne la remplace pas, ça la complète et la nuance. Même si le bilan carbone en dit beaucoup sur nos habitudes, il manque de tonalité : une personne qui a pris l’avion dans l’année ne pollue pas forcément plus qu’une personne qui se rend à son travail à pied, même si son empreinte carbone est plus grande. Vous ne voyez pas comment ?
Maintenant, considérez que la première personne est un climatologue qui a voyagé pour donner une conférence et sensibiliser des centaines de personnes aux dangers des émissions de gaz à effet de serre, alors que la seconde travaille pour un énorme groupe pétrolier. Vous visualisez mieux l’importance de la nuance ?
Au-delà de ça, Pattee cherche aussi une forme de justice : selon elle, notre empreinte est « due à des forces indépendantes de notre volonté », puisque « Nous n’avons pas vraiment le contrôle sur la façon dont nos villes sont aménagées. (...) Nous ne choisissons pas non plus le pays dans lequel nous sommes nés ». Quand on vit dans un désert alimentaire, par exemple, ou que notre ville a un réseau de bus riquiqui, notre mode de vie pèse forcément plus lourd sur la planète, et on ne peut pas vraiment faire autrement en l’état.
Qu’est ce que ça change ?
L’ombre climatique adopte une vision plus collective et décentre l’effort. Si jusque-là, on avait tendance à se regarder soi, à faire son petit bilan carbone en fin d’année pour se rassurer ou déculpabiliser, la notion d’ombre climatique encourage davantage l’effet de groupe. Elle n’oublie pas les actions individuelles, mais elle souligne davantage les efforts personnels qui ont un effet sur les autres, qui encouragent les changements collectifs et influencent les groupes.
À titre d’exemple, votre bilan carbone s’améliore lorsque vous décidez de ne consommer plus qu’en circuit court, mais votre ombre climatique grandit quand vous en parlez à votre entourage, et que votre discours les motive, que ce soit sciemment ou pas.
Là où le bilan carbone se contente de quantifier la vertu, l’ombre climatique permet de sortir de ce cadre purement mathématique en incluant des notions d’éthique, d’exemplarité ou d’énergie consacrée à la Terre.
Donc ce truc là, c’est tout beau, tout vert ?
Non. Comme toutes les notions émergentes, l’ombre climatique a ses limites ! Bien que soutenue par plusieurs scientifiques, dont la climatologue Katharine Hayhoe, elle n’a pas encore fait l’objet d’un travail de révision par les pairs. De plus, les bilans carbone, pourtant célèbres, ont encore bien des lacunes dans leur mode de calcul : il serait utopique de penser que celui d’une notion aussi nébuleuse que l’ombre soit rapidement fiable et complet. Cela pourrait prendre plusieurs années, voire décennies.
Enfin, il faut faire attention à ce que l’ombre climatique reste une vision plus globale de ses actions, et ne devienne pas une excuse : ce n’est pas parce que vos voisins ont changé leurs ampoules pour des LED grâce à vous, que vous devez vous autoriser à descendre dans le Sud du pays en avion ce week-end, vous voyez ?
Du coup, Jean-Eude... Votre « ombre climatique », ça dit quoi ?