L’Écologie populaire : 5 clichés à déconstruire

L’Écologie populaire : 5 clichés à déconstruire

L’écologie populaire, c’est faire des potagers dans les quartiers ? La journaliste Hajar Ouahbi rétablit la vérité, exemples à l’appui.
31 August 2024
par Hajar Ouahbi
5 minutes de lecture

L’écologie populaire, nouvelle tarte à la crème des politiques pour se donner bonne conscience ? Hajar Ouahbi, journaliste issue de milieu populaire vient remettre du vrai dans 5 fausses idées reçues.

Les clichés ont souvent la vie dure, comme celui qui prétend que tous les végétariens souffrent de carences. Mais les clichés, par définition, sont faits pour être déconstruits. C'est pourquoi nous nous sommes lancés dans la mission de recueillir et de démystifier les préjugés concernant l'écologie populaire. 

Tout a commencé par un sondage en ligne que j’ai posté sur mon compte Instagram, suivi rapidement de discussions en face-à-face. Les personnes sondées avaient des âges différents, certains ont grandi en quartier populaire, d’autres non. Très vite, une longue liste de stéréotypes a émergé. Certains de ces clichés, je les ai moi-même crus, et peut-être que je les crois encore. Alors, j'ai décidé de m'y attaquer, un par un, pour faire un grand ménage et rétablir la vérité sur cinq idées reçues qui reviennent souvent quand on parle d’écologie populaire.

"L’écologie populaire, c’est de la pauvreté subie plutôt que de la décroissance volontaire"

Le cliché : L'écologie populaire est perçue comme une conséquence de la pauvreté plutôt qu'un choix de vie volontaire.

Le décryptage : Si certaines pratiques écologiques dans les milieux populaires résultent de contraintes économiques, cela n’enlève rien à leur valeur. La récupération, le recyclage et la réduction des déchets sont des pratiques écologiques en soi. De nombreux militants prônent la décroissance volontaire pour remettre en question le consumérisme et le gaspillage inhérent à notre modèle économique actuel.

Mais, pour beaucoup, l’écologie populaire ne se réduit pas à une simple réaction à la pauvreté. Les classes populaires sont actives et conscientes des changements politiques nécessaires à mettre en place et de la nécessité d’une organisation collective pour un changement durable. Partout, des collectifs citoyens s'organisent pour défendre les espaces naturels contre les projets destructeurs en menant des actions de sensibilisation et de mobilisation. C’est le cas d’un groupe de lycéens de Gonesse qui a enquêté sur le projet Europacity, un gigantesque site de loisirs et de commerces finalement abandonné en 2019. Ces initiatives collectives s'inscrivent souvent dans des idéologies axées sur la lutte des classes et la lutte contre les oppressions systémiques. Elles ont pour objectif de redistribuer le pouvoir et les ressources, tout en remettant en question les structures économiques et sociales qui perpétuent l'inégalité et l'exploitation. En promouvant la justice sociale et environnementale, ces mouvements aspirent à créer des systèmes alternatifs plus justes et durables.

"L’écologie populaire se limite au ramassage de déchets ou à la mise en place d’un potager dans le quartier"

Le cliché : L'écologie populaire se réduit à des actions locales et symboliques qui n'imposent pas de grands changements.

Le décryptage : Ces actions locales sont essentielles et participent à une prise de conscience collective. Un potager dans le quartier, c’est déjà un moyen de lutter contre l’absence d’espaces verts, de végétation et de points d’eau qui rendent les fortes

chaleurs encore plus difficiles à supporter et peuvent entraîner la mort. Cependant, l'engagement populaire pour l'environnement peut aller au-delà de ces actions locales. L’écologie populaire remet en question les conventions sociales établies et parfois même les structures raciales. Le mouvement en faveur de la justice environnementale qui a émergé aux États-Unis dans les années 1970, découle d’un constat : les usines polluantes sont souvent placées à proximité des quartiers habités par les minorités ethniques, exposant ainsi ces communautés à des niveaux de pollution supérieurs à la normale. Ainsi, juridiquement, la discrimination raciale en matière d'exposition aux déchets toxiques a été officiellement reconnue pour la première fois en 1979. Après cela, plusieurs résidents de Houston se sont mobilisés contre un projet visant à installer une décharge publique près de leur lieu de résidence.

"L’écologie populaire c’est une écologie mise sur le dos de la population"

Le cliché : L'écologie populaire est perçue comme une injonction moralisatrice imposée aux populations les plus pauvres.

Le décryptage : Plutôt que de donner des leçons morales, l'écologie populaire cherche à donner du pouvoir aux communautés. Le travail effectué par Banlieues Climat illustre qu'il est possible de former sans culpabiliser. En mettant en avant les liens entre justice sociale et environnementale, les animateurs et animatrices de l’association encouragent la mise en place d’actions collectives et participatives. Ils soulignent la gravité de la situation tout en étant pleinement engagés et en incitant à la création de projets, afin de lutter contre l'inertie ou l'anxiété environnementale. Loin d'être une contrainte imposée, l'écologie populaire qu'ils promeuvent - et que de nombreux autres militants soutiennent également - offre des solutions tangibles pour améliorer la qualité de vie de tous.

L'association Banlieues Climat

"L’écologie populaire n’existe qu’en réaction à l’écologie dite ‘classique’"

Le cliché : L'écologie populaire est un mouvement trop niche, récent et urbain pour être pris au sérieux.

Le décryptage : L'écologie populaire transcende la simple opposition à l'écologie des classes aisées. Ce sentiment découle des difficultés des gouvernements et parfois même des médias à concilier les aspirations sociales avec les préoccupations écologiques. Prenez l'exemple des gilets jaunes : en novembre 2018, une mesure politique présentée comme écologique, la hausse de la taxe sur le carburant, a suscité un mouvement massif de contestation. Bien que souvent perçu comme anti-écologiste, ce mouvement exprimait en réalité des revendications pour plus de justice sociale, poussant ainsi à une remise en question du discours dominant. Le mouvement des gilets jaunes a même été rejoint par d'autres mouvements, y compris environnementaux, sous le slogan “Fin du mois, fin du monde, même combat !”. Cette évolution a également transformé le discours des gilets jaunes, qui ont passé de la demande de “plus consommer” à celle de “mieux consommer”.

“L’écologie populaire a été récupérée par des personnes blanches et privilégiées”

Le cliché : L'écologie populaire serait un mouvement poussé par des personnes qui ne connaissent pas ou peu les milieux populaires. 

Le décryptage : La plupart des gens pensent que l'écologie populaire est une nouvelle forme d'écologie qui s'impose aux personnes des quartiers ou milieux populaires. Par exemple, on imagine souvent des personnes extérieures à ces quartiers venir faire la morale aux jeunes sur leur consommation jugée excessive de fast-food, ou encore demander aux personnes précaires de moins prendre l’avion, alors qu’elles ne sont ni celles qui polluent le plus, ni celles qui prennent le plus l’avion. En réalité, l'écologie populaire peut être soutenue par des personnes blanches ou des structures extérieures aux quartiers populaires dès lors qu’elles impliquent les populations concernées par les questions d'écologie et qu’elles leur permettent de décider elles-mêmes de la manière dont elles vont agir. Ces personnes blanches et structures doivent veiller à ne pas invisibiliser les actions menées par les personnes concernées et, surtout, à créer des liens avec elles. C'est ainsi qu'on reconnaît les véritables alliés de l'écologie populaire.

Des clichés sur l'écologie populaire, il y en a bien d’autres. Ils traduisent souvent une méconnaissance de ses réalités et de ses objectifs. Est-ce parce que ce mouvement n'a pas encore réussi à se faire suffisamment connaître ou à communiquer clairement ses intentions ? Quoi qu’il en soit, l'écologie populaire n'est ni un luxe réservé aux riches ni une contrainte imposée aux plus précaires. Au contraire, elle représente une réponse essentielle aux défis sociaux et environnementaux, en unissant les luttes pour la justice sociale et environnementale.

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Hajar Ouahbi est journaliste et réalisatrice. Elle a grandi en Italie puis près de Nantes. Actuellement basée à Paris, elle est passionnée par les phénomènes internet, les diasporas en Europe et les questions environnementales. 

Retrouvez-là sur Twitter et Instagram @hajarohb.

5 clichés en résumé

L’écologie populaire est souvent mal comprise et réduite à des idées préconçues. Hajar Ouahbi clarifie ces idées reçues avec des exemples concrets.

  • Écologie et pauvreté : Contrairement à l'idée reçue, l’écologie populaire ne découle pas seulement de la pauvreté mais est aussi une réponse volontaire à la crise environnementale, intégrant des pratiques écologiques comme le recyclage et la réduction des déchets.
  • Actions locales : Les potagers et ramassages de déchets sont importants, mais l'écologie populaire va au-delà, abordant des enjeux plus vastes de justice environnementale et sociale dans les quartiers.
  • Empowerment : L’écologie populaire vise à responsabiliser les communautés plutôt qu’à les culpabiliser, en mettant en lumière les liens entre justice sociale et environnement.
  • Authenticité du mouvement : L'écologie populaire n'est pas une réaction à une écologie "classique" mais un mouvement qui transcende les distinctions de classes et s'attaque à l'injustice sociale et environnementale.
  • Inclusivité : Ce mouvement n'est pas réservé à une élite mais cherche à inclure les voix des milieux populaires, en évitant les erreurs de greenwashing et en favorisant des actions locales et authentiques.