Les bombes carbone, 10 questions, 10 réponses

Les bombes carbone, 10 questions, 10 réponses

Une bombe quand ça explose ça fait des dégâts. Une bombe carbone c’est pareil, ou pire. Enfin pas mieux. On vous explique.
14 August 2024
par Vianney Louvet
4 minutes de lecture

Bombe carbone. Le mot sonne bien. Et il fait un peu peur, aussi. Aux quatre coins de la planète, des projets catastrophiques accélèrent les dérèglements climatiques et obscurcissent, un peu plus encore, notre avenir. On vous explique tout en 10 questions.

Qu’est-ce qu’une bombe carbone ? 

C’est un site d’exploitation d’énergies fossiles qui contient les plus grosses réserves de charbon, de pétrole et de gaz connues à l’échelle mondiale. Rentre dans la catégorie des “bombes” tout projet qui entraînerait au moins un milliard de tonnes d’émissions de CO2 au cours de sa durée de vie. 

Pourquoi le mot “bombe” ? 

On parle même de “bombes climatiques à retardement”. Extraire du pétrole, cela entraîne souvent des dommages immédiats : sur les populations alentour, les fonds marins, la biodiversité, etc. Mais le terme de bombe (à retardement) nous parle surtout des conséquences après coup, à moyen et long terme. Une fois qu’on crame l’énergie de chacun de ces gisements pour alimenter notre civilisation thermo-industrielle si gourmande, les bombes carbone pourraient rejeter plus de 1 milliard de tonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère. Et pendant ce temps, les experts évaluent le budget carbone maximum pour rester sous les 2 °C à 1 150 gigatonnes… Autant dire que rien qu’avec ces activités-là, l’Accord de Paris, les 1,5°C, tout ça part en fumée…

Combien en compte-t-on ? 

En 2022, un chercheur allemand, Kjell Kühne et son groupe d’universitaires, ont cartographié pas moins de 422 sites dits “super-émetteurs”, 422 bombes carbone à travers le globe.

Où sont-elles situées ? 

Va voir cette carte sur le site Carbonbombs qui recense l’ensemble des projets en cours, à venir. Et n’hésite pas à te balader sur ce même site qui est très bien fait. Et carrément effrayant. 

Qui sont les responsables ? 

Les ONG françaises Eclaircies et Data for Good ont étudié un grand nombre de données et révélé les typologies d’acteurs qui permettent l’existence de ces fameuses bombes. Leurs résultats pointent du doigt 3 typologies d’acteurs : les entreprises, les banques et les États. 

A-t-on des noms ? 

  • Concernant les entreprises, parmi les 454 “créatrices” des bombes carbone (opérateur ou actionnaire du gisement) on trouve 126 groupes américains (comme ExxonMobil qui a tenté de cacher la vérité sur les conséquences de nos actions à la fin du siècle dernier), 125 groupes chinois (China Energy, Top 1 médaille d’or), et un groupe Français, mais pas des moindres. Félicitons ensemble TotalEnergies pour son travail acharné qui permet à la multinationale française de se placer au deuxième rang du classement mondial, impliquée dans pas moins de 23 bombes carbone, devant le géant saoudien Saudi Aramco. 
  • Concernant les banques, en 2022, elles ont débloqué 151 milliards d’euros de financements (prêts ou d’obligations) à destination des groupes cités juste avant pour permettre leur joli travail. Les chiffres de l’ONG Reclaim Finance mentionnent notamment la BNP Paribas et le Crédit agricole parmi les dix premiers financeurs. Nuançons quand même les faits avec cette récente annonce de la BNP qui déclarait le 14 mai 2024 vouloir suspendre ses soutiens au secteur pétrolier et gazier. Plus précisément, elle a profité de son assemblée générale pour déclarer “s’abstenir de participer à certains types de financements non fléchés – les émissions d’obligations – pour les entreprises du secteur”. Plus d’informations par Reclaim Finance ici. Les choses pourraient également évoluer au Crédit Agricole même si cette fois le conditionnel est clairement de mise. 
  • Concernant les États, enfin, ce sont eux qui délivrent les licences d’exploitation des gisements fossiles voire qui apportent parfois un petit coup de pouce financier. La Chine héberge à elle seule 141 bombes carbone, beaucoup de mines de charbon, qui représentent 28 % des émissions potentielles, la Russie, 40 et les États-Unis, 28. 

EACOP, c’est considéré comme une bombe carbone ? 

Si on s’arrête au critère défini du milliard de tonnes de CO2, non. En effet, EACOP c’est environ 35 millions de tonnes de CO2 par an. Mais c’est en plus de cela un projet qui au-delà de ses émissions détruit la biodiversité (notamment le parc national des Murchison Falls) et déplace des populations. 

A-t-on vraiment le choix ? 

C’est une vraie question. Notre modèle énergétique est tout sauf simple à transformer. Nos quotidiens pompent de l’énergie et la sobriété n’est pas encore d’actualité. Je ne pourrai pas écrire cet article sans piquer un peu d’énergie fossile à droite à gauche. Mais alors faut-il ouvrir de nouveaux gisements “pour se laisser le temps de mettre la transition en place” comme le déclarent certains professionnels du secteur ? A priori, non. Et c’est le patron qui l’affirme, l’Agence internationale de l’énergie. Selon elle, si les “Etats sont sérieux sur la crise climatique, il ne devrait plus y avoir de nouveaux investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon dès maintenant” disait son directeur, Fatih Birol, en 2021. 

Quelle trajectoire pour le futur ?   

De nombreux mouvements écologistes à l’échelle internationale mais aussi très localisés se battent contre ces bombes carbone. D’après une étude de 2021 parue dans Nature, 60 % des réserves de pétrole et 90 % de celles de charbon devront rester dans le sol pour que nous ayons une chance de maintenir le réchauffement sous les 1,5 °C. L’urgence est là, plus que jamais, et il y a encore beaucoup à perdre (ou à gagner). En 2020, environ 40% des bombes carbone n’avaient pas encore vu le jour.

Et moi je fais quoi ? 

  • La bataille culturelle est primordiale. Faire connaître ce concept de bombe climatique n’est pas anodin et pèse sur les entreprises et leur image, 
  • Même si c’est n’est pas une bombe mais une micro-bombe, la lutte en local, près de chez toi, est précieuse (cf la carte des luttes contre les grands projets inutiles),  
  • N’hésite pas à interpeller ta banque via ReclaimFinance ou Oxfam qui travaillent sur ce sujet, 
  • Et faisons masse : les attaques en justice se multiplient et effraient les coupables potentiels, qui pourraient payer des milliards pour “réparer” ce qu’il est encore possible de réparer. 


Sources :