Pour vous la faire courte (et un brin cynique) les « limites planétaires » sont les seuils à ne pas franchir si l’on veut éviter de mourir dans d’atroces souffrances après avoir bousillé notre planète. Youhou. Bonne ambiance. Pour la faire plus longue, bah faut lire l’article.
Extrait du rapport Meadows
C’est quoi, les limites planétaires ?
Tout commence en 1972, avec le rapport Meadows, sur « Les limites de la croissance », qui explique qu’« une croissance exponentielle est insoutenable face à une ressource finie. » En gros : si l’activité humaine continue de croître rapidement, il y a un moment où la Terre sera à court de ressources.
En 2009, des scientifiques, de l’équipe internationale de chercheurs dirigée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre (SRC), reprennent ce rapport et posent pour la première fois le cadre de ces limites. Ils publient leurs travaux dans la revue Nature. Pour étudier l’impact des activités de l’homme sur l’équilibre de la Terre, ils désignent 9 processus naturels qui, ensemble, déterminent la stabilité des écosystèmes : le climat, l’érosion de la biodiversité, le changement d’usage des sols, l’eau douce, l’acidification des océans, les perturbations des cycles de l’azote et du phosphate, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, les aérosols émis dans l’atmosphère, et l’appauvrissement de la couche d’ozone.
La définition de ces processus offre une vision globale du problème, pour que les modes d’action proposés soient concrets, et évitent les « fausses solutions » : celles qui améliorent un domaine au détriment d’un autre.
Si vous vous demandez comment lesdites limites sont calculées et chiffrées, rappelez-vous que des chercheurs supers pointus ont dû s’y mettre à plusieurs pour trouver, et donc, que c’est très complexe. Pour résumer la démarche : ils analysent et comparent des données recueillies à l’instant T, avec des indicateurs historiques, précédant l’impact significatif de l’activité humaine sur la planète. Pour le climat, par exemple, on se base sur l’ère préindustrielle et on compare avec son état actuel pour définir le seuil à ne pas dépasser.
Attention à ne pas confondre les « limites planétaires » et le « jour du dépassement » !
Cette autre notion est calculée tous les ans et permet d’identifier à partir de quelle date nous avons épuisé ce que la Terre avait à nous offrir pour toute l’année. À partir de ce jour de dépassement, nous « vivons à crédit » jusqu’à l’année suivante. De leurs côtés, les limites planétaires ne sont pas remises à niveau tous les ans : quand c’est trop tard, c’est trop tard.
De la même manière, les « limites planétaires » ne sont pas les « ressources naturelles » : c’est notre surconsommation des ressources naturelles qui mène au dépassement des limites planétaires !
Est-ce qu’on a de la marge ?
J’aimerais vous dire que oui, mais... Non ! Au moment où l’étude est publiée, trois limites sont déjà dépassées : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité (la disparition trop rapide des espèces), et les rejets d’azote dangereux pour les écosystèmes marins. Aujourd’hui, trois autres ont été franchies : le changement d’usage des sols (la perte des forêts), l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère (coucou le plastique), et récemment, le cycle de l’eau douce.
À chaque limite franchie, c’est un bond de géant vers un environnement déstabilisé de manière irréversible : vers le point de non-retour. Va falloir penser à bondir moins loin, et moins vite, d’autant plus que sur les trois restantes, seule l’appauvrissement de la couche d’ozone est encore tenue bien à distance. Ça sent le sapin cette affaire, et ça n’a clairement rien à voir avec l’arrivée de Noël.
Des limites planétaires peuvent en cacher d’autres
En mai 2023, Johan Rockström, accompagné de 40 scientifiques du monde entier, republie dans la revue Nature. Dans cette nouvelle étude, on ne cherche plus seulement les limites de sûreté, mais les « limites planétaires sûres et justes ». Cette notion de « justice », prend en compte les niveaux locaux et régionaux, considère les besoins humains et cherche une équité entre les différentes générations.
Les travaux s’appuient en grande partie sur les limites planétaires définies en 2009, et explorent 5 des 9 processus, à savoir : le climat, la biodiversité, l'eau douce, les cycles des nutriments et les polluants aérosols. L’eau douce est divisée en deux sous parties : « l'état des eaux de surface » et « l’état des eaux souterraines ». Même chose pour la « biodiversité » qui est divisée en « intégrité fonctionnelle des écosystèmes » et « surface occupée par les écosystèmes naturels ». De son côté, le processus des « cycles des nutriments » sous-entend « le cycle de l’azote » et « le cycle du phosphore ». Au final, on aboutit donc sur 8 nouvelles limites planétaires : les 8 limites sûres et justes, qui définissent les seuils à partir desquels les effets néfastes pour le vivant apparaissent.
Par exemple, selon leurs travaux, la « limite juste » en matière de climat se situe à l’augmentation de la température globale de 1°C par rapport à l’ère préindustrielle. Bien qu’ils filent un sacré coup de chaud, les résultats glacent le sang : ce réchauffement climatique mondial a déjà atteint les 1,2°C et pourrait même atteindre 1,5°C d’ici à 2030, si rien ne change.
Nouvelles limites, même galère
Si vous espériez trouver un peu d’espoir et de repos d’esprit dans ce retravail, vous allez être déçus : sur ces 8 limites, 7 sont déjà franchies, et 6 d’entre elles ont dépassé le point de non-retour. Seule la pollution par les aérosols reste en lieu « sûr et juste » Voilà. Plus qu’un pion à bouger au mauvais endroit, et on se prend le plus violent des échecs et mat en pleine pomme.
Les scientifiques qui ont établi cette étude comparent la Terre à l’homme en expliquant « Si la planète était un corps, tous ses organes seraient affectés. Ses poumons, mais aussi ses reins, son foie… ». Autant vous dire que ce genre de diagnostic conduit rarement vers de beaux jours. Pourtant, tout n’est pas perdu et la guérison est encore possible. Il faut juste entamer le processus tout de suite, avec la plus grande discipline. La Terre est en zone dangereuse, mais elle n’est pas encore condamnée.
Si jamais le ton n’était pas suffisamment alarmiste, résumons en deux mots notre devoir face à la situation : « agir vite ». Pour éviter le scénario catastrophe vers lequel nous nous dirigeons gaiement, nous n’avons pas mille solutions : nous devons tous être acteurs d’une juste transformation globale, autant individuellement que collectivement.