« Ouin ouin, on va quand même pas réécrire la langue française pour faire plaisir aux bonnes femmes » râle tonton Dédé dès lors qu’une écriture inclusive lui saute aux yeux.
Navrée de bousculer quelque peu ton monde, tonton Dédé, mais en réalité : la langue française a déjà été réécrite, mais pour faire plaisir aux bonhommes. Eh oui, au Moyen Âge, notre français était bien plus égalitaire. La preuve, avec ses anciennes règles d’accord qui, tiens toi bien tonton Dédé, permettait aussi au féminin de l’emporter sur le masculin !
Fondation de l’Académie française par lettres patentes de Louis XIII le 29 janvier 1635
L’accord de proximité
C’est au XVIIe siècle que la langue française bascule dans la primauté du masculin, mal inspirée par des messieurs confortablement assis sur les bancs de l’Académie Française. Parmi eux, l’abbé Bonhours, qui considère que « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », ou le grammairien Nicolas Beauzée qui complète « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Évidemment, c’est bien connu.
C’est sous l’influence de ces discours que la langue française (qui est un nom féminin, hihi sorry) commence à s’accorder au masculin. Il y a 4 siècles, on oublie alors la règle de proximité, selon laquelle on accordait l’adjectif avec le nom le plus proche, pour éviter de choquer l’oreille. Par exemple, on disait « Ces femmes et ces hommes sont beaux », mais aussi « Ces hommes et ces femmes sont belles ». Cette règle existait aussi en latin ou en grec.
Où est donc le pronom personnel attribut « la » ?
Livrés à de bien belles batailles viriles, les Académiciens ont également mené une guerre sans merci au pronom personnel attribut « la ». Corneille lui-même (le dramaturge, pas le chanteur) écrivait « Vous êtes satisfaite, et je ne la suis pas.», mais les Académiciens en ont décidé autrement. Sous couvert de cette « neutralité » - qui a fichtrement bon dos - le « la » devient « le ». Alors qu’initialement « On ne naît pas femme, on la devient », à la fin du XVIIe siècle, « On ne naît pas femme, on le devient. ». Oui, c’est un non sens.
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Les noms de métiers au féminin
Si aujourd’hui la féminisation des noms de métiers est largement acceptée, elle a longtemps fait débat. Pourtant, dans un monde où les hommes n'auraient pas jugé eux-même que le masculin devait l’emporter sur tout, les jeunes filles auraient pu rêver d’être plus tard peintresse, autrice ou même philosophesse, sans que ça ne fasse jamais grincer des dents qui que ce soit.
En réalité, ces noms existent depuis des siècles, mais les Académiciens, toujours aussi bien inspirés, ont condamné ces termes, jugeant ces activités réservées aux hommes. Des cuisinières et femmes de ménage, bien sûr ! Mais des doctoresses ou des autrices ? Il ne faut pas abuser ! D’ailleurs, à cette époque, des femmes, à l’image de Marie de Gournay, s’imposent sur la scène littéraire. Les nommer en masculinisant le nom de leur profession, c’était les désigner comme des transgresseuses, et les tourner aux ridicules. Belle mentalité.
Le masculin, symbole ultime de la « neutralité »
Le masculin est à la neutralité ce que l'œuf est à la sauterelle : pas grand chose. La neutralité n’existe pas dans la langue française. Comme dans la plupart des langues romanes, il existe uniquement deux genres : le féminin, et le masculin. D’après Eliane Viennot, autrice de l’ouvrage « Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin », parler d’un genre « neutre » est scientifiquement irrecevable, puisqu’il n’existe pas.
Et le pire, c’est que cette imposture à un vrai effet sur nos cerveaux : des études de psycholinguistique démontrent que lorsqu’on emploie le masculin pour parler d’ensembles de personnes mixtes, notre imaginaire projette... Des représentations masculines. Une définition discutable, vous en conviendrez, de la « neutralité ».
C’est quoi la suite ?
Bien que ces grammairiens un brin sexistes nous mettent quand même bien le seum, il y a du positif ! Cette masculinisation de la langue française montre aussi qu'aucune règle n’est figée et définitive, et que si on a pu imposer le masculin dans notre langue, on pourrait tout aussi bien imposer une plus grande inclusivité !
Dans cette logique, et pour lutter contre l’invisibilisation des femmes dans la langue française, une nouvelle façon d’écrire s’impose peu à peu : l’écriture inclusive.
Cette dernière propose plusieurs méthodes pour retrouver une forme d’égalité dans nos écrits :
- le point médian, qui permet de parler des artisan·e·s, des professeur·e·s ou des étudiant·e·s, par exemple.
- Le doublet, qui se résume simplement à citer les hommes et les femmes lorsqu’on parle d’un groupe : « les artisans et les artisanes », « les professeurs et professeures » ou les « étudiants ou étudiantes ».
- La féminisation des noms de métiers, dont nous avons parlé plus tôt, rétablissant des termes supprimés au XVIIe siècle, comme pompière ou autrice.
Évidemment, et comme la plupart des nouveautés, cette dernière fait débat. Mais même si l’Académie Française s’y oppose, de plus en plus d’entreprises l’adoptent.
Pour tonton Dédé et sa bande de copains, c’est évidemment une ineptie qui menace la beauté de la langue française. En réalité, tonton, la seule chose qui menace l’écriture inclusive, c’est bien la domination du genre masculin sur le féminin. Aïe, coup dur pour tonton. C’est un petit point pour l’homme, mais un point de géant pour l’égalité.
Source
- Interview de Eliane Viennot, professeuse émérite de littérature de la Renaissance, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, pour ça m’intéresse
- Usbek & Rica, « Le masculin l’emporte sur le féminin » : Bien plus qu’une règle de grammaire
- Le Monde, Genre, le désaccord
- Le Monde, L’Académie française se résout à la féminisation des noms de métiers
- Libération, Rendons le féminin à la langue française