Ni mineurs, ni majeurs : les jeunes migrants égarés dans le droit au logement

Ni mineurs, ni majeurs : les jeunes migrants égarés dans le droit au logement

Comment les jeunes migrants qui arrivent en France sont-ils pris en charge et hébergés ? Pris dans un dédale juridique pour reconnaître leur minorité, ils attendent souvent de longs mois avant qu'une solution leur soit proposée.
21 January 2025
par Hélène Binet
4 minutes de lecture

Depuis le 10 décembre, 300 jeunes migrants occupent le lieu de la Gaîté Lyrique à Paris pour demander un logement digne et pérenne. Si aucune solution ne leur est proposée pour le moment, c’est parce que l’État et la Ville de Paris se rejettent la responsabilité. Explications.

Ils sont originaires de Guinée Conakry, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali ou encore d’Angola. Ils ont parcouru des kilomètres, traversé des mers, perdu des proches pour rejoindre le pays des droits de l’homme et du citoyen. Hassane, Youssouf et les 300 personnes qui occupent la Gaîté Lyrique sont jeunes, parfois pas assez pour être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), toujours trop pour vivre sous les ponts parisiens. 

Certains ont 17 ans, d’autres 19, quelques mois de différence qui peuvent faire basculer leur existence. Si pour la plupart d’entre nous, l’entrée dans la majorité a été synonyme de liberté, de permis de conduire, de droit de vote, de cuites au mauvais rosé, pour les jeunes, seuls, en parcours de migration, c’est au contraire un âge où tout peut sombrer. 

Avant leur majorité, les jeunes migrants sont officiellement protégés pour peu que leur minorité soit d’emblée reconnue. Considérés comme des enfants, ils bénéficient des droits prévus par la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) mais aussi des mêmes prises en charge que les mineurs de nationalité française. “Au même titre que tous les enfants en danger, rappelle l’UNICEF, ils doivent donc bénéficier d’un hébergement, d’un accès à l’éducation et aux soins de santé et d’un accompagnement dans leurs démarches administratives.” Leur prise en charge est confiée aux départements en charge de l’Aide sociale à l’enfance. Paris étant aussi département, les mineurs non accompagnés (MNA) sont donc de la responsabilité de la ville. S’il est difficile d’avoir des chiffres officiels à jour, en 2022, selon le ministère de la justice, 14 782 mineurs non accompagnés ont été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance en France. Leur minorité les a mis à l’abri.

« Un mineur non accompagné (MNA) est un enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, présent sur le territoire français sans être accompagné d'un adulte (titulaire de l’autorité parentale ou représentant légal). » Vie Publique.

Il venait d’avoir 18 ans…

En revanche, lorsque les jeunes ne sont plus des enfants mais des adultes sans papier, là ça se corse. L’État et l’Union européenne ont mis en place différentes aides comme les hébergements d’urgence, les mêmes que ceux que l’on voit dans le film Souleymane et que l’on réserve au jour le jour en appelant le 115. Le problème c’est que ces dernières années, le nombre de demandes de logements d’urgence a significativement augmenté et que l’offre n’a pas suivi dans les mêmes proportions (la volonté politique y serait-elle pour quelque chose ?). Dans ce contexte, les mairies (majoritairement de gauche) ont pu parfois se substituer à l’État (comme à Paris notamment) et débloquer des hébergements d’urgence mais se sont également heurtées à des limites financières. Résultat, les chiffres officiels du Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales révèlent que près de 40% des appels au numéro d'urgence 115, destiné aux sans-abri, restent aujourd’hui sans réponse.

Vous avez dit mijeur ?

Dans ce contexte, pour être assuré de dormir au chaud, mieux vaut être mineur. Le souci c’est que n’est pas un minot qui veut. Lorsque les jeunes migrants parviennent sur le sol français sans papier, alors que la présomption de minorité existe en droit, ils sont souvent présumés majeurs. En effet, à leur arrivée, l’ASE organise un accueil provisoire d’urgence de 5 jours maximum pendant lesquels elle évalue leur minorité et leur isolement familial à coups d’interrogatoires plus ou moins adaptés. À Paris c’est France Terre d’Asile qui est mandaté pour ce dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie). “Selon la mairie de Paris, le Demie reçoit chaque année entre 7 500 à 8 000 jeunes et 34 % d’entre eux sont reconnus mineurs à l’issue de l’évaluation, peut-on lire sur le site Info Migrants. Pour ceux qui ne le sont pas, il est possible de faire un recours en justice. L’association Utopia 56 a affirmé qu’environ 65 % des jeunes qu’elle avait accompagnés à Paris ont finalement été reconnus mineurs en 2021, à l'issue d'un recours.”

Ainsi pendant 7 à 12 mois, le temps du recours, les jeunes migrants sont souvent dans une situation administrative ubuesque. Exclus des dispositifs de protection de l’enfance, mais pas majeurs pour autant, ils ne peuvent bénéficier des dispositifs pour adultes. Ils passent souvent de longs mois à la rue, livrés à eux-mêmes comme la plupart des 300 jeunes qui occupent aujourd’hui la Gaîté Lyrique et que l’on croisait auparavant sous les ponts parisiens. Mijeurs, ils sont à la merci des bons vouloirs des départements ou de l’État pour leur prise en charge. Ou de leur courage politique. Ou de leur humanité. 

En 1985, Coluche disait qu’on n’avait plus le droit ni d’avoir faim ni d’avoir froid. 40 plus tard, que l’on ait 16 ou 19 ans, que l’on vienne d’Afrique subsaharienne ou d’Ukraine, a-t-on encore le droit d’être sans toit ?