Rania Daki, héritière du futur

Rania Daki, héritière du futur

Rania Daki s’investit depuis son enfance dans la justice climatique. Retour sur son parcours fait de convictions et de transmissions familiales.
13 December 2024
par Irène Colonna d'Istria
5 minutes de lecture

Rania Daki est porte-parole Justice Climatique de l’association Ghett’up. Depuis son enfance, ses engagements s’enracinent dans son histoire familiale et fleurissent sur son expérience du bitume. Rencontre.

Quand tu grandis dans un quartier populaire, t’as envie de t’émanciper, de comprendre pourquoi c’est comme ça chez nous.” Rania habite depuis toujours à Aubervilliers en banlieue parisienne, au sein d’une famille française d’origine marocaine, issue de deuxième et troisième générations d’immigrés. Sa mère, née en France, partie au Maroc à l’âge de dix ans puis revenue à l’âge adulte, et son père, venu faire des études qu’il n’a pas pu achever, ont pris soin de lui transmettre leur culture : “On a toujours beaucoup discuté. J’aime trop les souvenirs, je voulais tout savoir et je regrette même de ne pas leur avoir posé certaines questions, car quand je vais là-bas, je ne connais pas tout,” explique-t-elle. Cette génération lui a également transmis son goût de l’engagement : “Ma famille a milité pour ses droits. Mon grand-père est de l’époque de Mai 68, ma mère de celle de la Marche des Beurs. À la FCPE, mon père défendait les petits qui avaient des problèmes familiaux. Ma première action, c’était une maraude, je m’étais inspirée de mes parents qui récupéraient régulièrement les vêtements pour des orphelinats au Maroc.” 

Survivre au choc symbolique

Ses parents l’encouragent également sur le chemin de l’école, pour lui permettre de “réaliser ses rêves et d’être bien financièrement”. Admise au lycée Louis-Le-Grand, elle est frappée par le changement d’ambiance : “On n’était que 10 personnes noires ou arabes en première année, puis 5 les années suivantes. Plein de gens me disaient que je devais connaître tel film, tel livre, tel plat… je me sentais pas à l’aise” se souvient-elle. C’est aussi en classe de seconde qu’elle reçoit “un subtil cours de géographie sur les inégalités liées au changement climatique” et comprend la brutalité et l’injustice de la situation pour les plus vulnérables. Elle décide alors qu’elle travaillera dans le développement durable. Sa professeure l’incite à créer un club écologie dans l’établissement, avec lequel elle organise des conférences sur l’élevage, des ateliers de sensibilisation, des collectes pour le secours populaire ou Utopia56… 

Éclairer les consciences

Arrivée en école d’ingénieur, elle choisit une spécialisation développement durable et rejoint le bureau éponyme de l’école, mais se heurte à des camarades perplexes. “Quand je proposais des sujets de conférence, ils ne captaient pas le lien - ils avaient une vision très technique et dépolitisée ! Même parler de racisme environnemental par exemple, ça leur faisait peur… Donc quand j’ai vu le partenariat avec Sciences Po, j’ai dit go !” raconte l’étudiante, qui suit désormais un master en politiques environnementales dans l’institution parisienne. Rania en impose tant par son parcours que par son recul vis-à-vis de ce dernier : “J’en profite pour m’engager car je suis jeune, je suis étudiante et je sais que pour d’autres c’est compliqué. J’ai des parents qui me soutiennent, j’habite chez eux, j’ai des assos dans lesquelles je m’épanouis, un master qui me plaît, ma santé mentale me le permet aussi… À partir du moment où on te sensibilise, c’est ton devoir d’agir si t’es privilégié.”

Lors de la soirée à la Gaîté Lyrique de remise du rapport, en replay ici.

Trouver sa voix 

Rania trace ainsi sa route au sein de collectifs portés par et pour des jeunes de milieux populaires : distributions de paniers étudiants avec l'Équipage Solidaire, sensibilisation sur les enjeux climatiques avec Banlieues Climat… “Au début, je ne me sentais pas légitime à prendre la parole, par rapport à des gens qui faisaient de l’éloquence ou de l’art oratoire. Puis je me suis dit : si je ne me donne pas la légitimé moi-même, qui le fera ?” En juin 2024, tout s’accélère : pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir, elle co-fonde le collectif “la Jeunesse Populaire” et incite ses pairs à se rendre aux urnes, même si elle comprend ceux “qui n’agissent pas, qui vivent un ras-le-bol légitime : il ne faut ni les culpabiliser, ni les déresponsabiliser non plus.” C’est à ce moment décisif qu’elle vit un coup de foudre militant avec Inès Seddiki, fondatrice de Ghett’up, et devient porte-parole de leur rapport (In)justice climatique, pour diffuser les contributions de plus de 1000 jeunes de milieux populaires auprès des institutions et du grand public. “Quand je l’ai lu pour la première fois, ça m’a émue, car je me suis reconnue tout du long. J’ai eu l’impression qu’il résumait entièrement ce que je pensais depuis des années, mais que j’avais mis un temps fou à conscientiser….” 

Articuler les causes 

Pas d’écologie sans antiracisme, et pas d’antiracisme sans écologie. Surtout, pas de transition sans les jeunes des milieux populaires urbains et ruraux, qui ont tout à offrir au mouvement : tels sont les messages que martèle Rania. “Plein de gens ont l’impression d’être des boulets, de ne pas faire partie du peuple. Il y a même des personnes blanches et pas issues de quartiers qui ne se sentent pas considérées… Le sentiment d’appartenance à la France, il faut le développer, il faut se reconnecter à ses racines. J’ai vécu des expériences de racisme et je me suis dit que je ne pouvais pas les laisser gagner, que c’était à moi de définir mon identité. Tu es obligée de le faire car tu aimes ton pays, tu ne vas pas l’abandonner. Je vis ici, alors si je ne suis pas Française, je suis quoi ? Si on critique ce pays, c’est avant tout parce qu’on l’aime !” Pour explorer cette tension fondamentale entre passé et futur, Rania a également lancé en septembre 2024 le podcast Diasporas, qui se veut “un espace authentique où l'immigration en France est racontée par ceux qui la vivent”. 

Garder la pêche 

Cette motivation sans faille, Rania la puise chez les femmes de son entourage ou chez des militantes telles que Rokhaya Diallo ou Assa Traoré. “C’est bien d’avoir des figures multiples, pour rester concentrés sur les idées et éviter la starification ou l’essentialisation ! Il n’y a pas une seule femme arabe en France, il y a différents profils, sphères sociales, ethnies, religions… Tout le monde a son rôle à jouer, chacune brille à sa manière.” Au-delà de l’écologie, Rania plaide pour un féminisme lui aussi intersectionnel, et s’indigne que les mouvements majoritaires “ne disent rien quand les femmes avec le foulard ne peuvent pas participer aux JO ou accompagner des sorties scolaires. Ça crée un sentiment d’injustice profond dans le cœur des enfants”. 

Réaliste mais déterminée, Rania sait que construire ces alliances entre mouvements demandera du temps et de l’humilité réciproque. Un travail pourtant capital car “nous n’avons pas réponse à tout, nous avons tous à apprendre, à écouter les uns des autres. À la fin, on dit tous la même chose : on veut se nourrir, se loger, vivre, pouvoir exister.”