Comment transformer son secteur grâce à un plaidoyer commun ?

Comment transformer son secteur grâce à un plaidoyer commun ?

avec Julia Faure, cofondatrice de Loom et d’En Mode Climat, co-présidente du Mouvement Impact France
20 May 2025
par Paloma Baumgartner
8 minutes de lecture

Loom est une marque de vêtements qui souhaite rendre l'industrie textile moins polluante. Pour cela, pas de formule magique, il faut produire moins et mieux.

En Mode Climat est une association qui réunit marques, usines et acteurs économiques de la mode et utilise son pouvoir d’influence pour demander des lois qui luttent contre la catastrophe climatique et servent le bien commun.

S’entourer pour peser

Quand Julia créé Loom en 2016 avec son associé Guillaume Declair, ils ont pour ambition de transformer le secteur de la mode. Mais l’industrie textile, de plus en plus polluante, semble inébranlable. Ils entament alors un cycle de conférences pour transformer les grosses boîtes de l’intérieur. Ils informent les consommateur·ices via des prises de parole, un blog, des fiches produits très détaillées. Mais, si le discours est de plus en plus entendu, la mise en action est limitée. Une seule voie doit être empruntée pour arriver à faire de cette mobilisation une révolution systémique : celle de la coopératoin.

Comment on fait ?

Julia s’est d’abord rapprochée d’organisations engagées dans les manifestes de protection de l’environnement, comme France Nature Environnement, les Amis de la terre et Zéro waste France. Ensemble, ils ont construit un manifeste commun, porté auprès des institutions politiques afin de mettre en lumière leurs demandes.

Mais, face au manque de réaction du sous-secrétariat d’Etat de l’Ecologie, ce premier trio d’acteurs a dû adapter sa stratégie. Puisque les gouvernements écoutent davantage la société civile quand elle défend des intérêts économiques, il fallait peser davantage dans la balance et embarquer suffisamment de marques pour que les politiques se penchent sur le dossier. Julia a diffusé son message de plaidoyer, qui a trouvé écho auprès de 80 autres marques de l’industrie textile qui ont rejoint la coalition pour écrire et publier une tribune dans Le Monde : “Nous, marques textiles, demandons à être plus régulées”.

La tribune fait du bruit, donnant lieu à des discussions qui circulent jusqu’à l’Assemblée nationale. La pression médiatique s’est installée, avec un relais massif dans la presse, les médias numériques et les réseaux sociaux. “J’ai compris à ce moment-là l’intérêt des tribunes. C’est un moyen de pression pour se positionner sur les échiquiers politiques. […] Pour être reçu et écouté, il faut peser.”

“Nous, marques textiles, demandons à être plus régulées”

Après ce premier élan de grande visibilité, de nombreuses personnes ont demandé à rejoindre la coalition. Il fallait alors se structurer pour rendre le mouvement pérenne et organisé. L’association “En mode climat” a vu le jour. Cela a permis de formaliser l’existence d’un anti-lobby - qui utilise son influence non pas pour les intérêts personnels et le court terme, mais pour avoir un poids et un impact positif sur le long terme.

Le mouvement compte aujourd’hui presque 600 membres, dont Asphalte, Clear Fashion, MoEa, 17h10 et des acteur·ices qui en marge du monde de la mode, comme Lita. En mode climat repose en grande partie sur le travail bénévole. Les membres ne paient pas d’adhésion et les messages sont portés par des patrons d’entreprises du secteur. Le mouvement est financé par des subventions (dont la Fondation européenne pour le climat), les dons des marques adhérentes, les pourboires laissés par des consommateur·ices sur des sites de marques adhérentes, ainsi que des revenus liés aux interventions de Julia ou à ses conférences.

Une bataille culturelle et politique en voie d’être remportée ?

Grâce à cette organisation, En Mode Climat réalise des études, rédige des notes, publie des rapports qui sont envoyés aux décideurs politiques. Depuis que l’association existe, la fast fashion est-elle moins polluante ? Non. Mais une bataille culturelle est en train d’être remportée, notamment autour du consensus que la fast fashion devrait être limitée et encadrée.

“Avec l’asso, on est un interlocuteur de référence pour les pouvoirs publics, à la table de toutes les négociations.” Quelques demandes ont abouti, notamment sur le nouveau cahier des charges de la Responsabilité Élargie du Producteur Textile, avec l’obligation pour les marques de prendre en charge la gestion des déchets de leur industrie, via la collecte, le recyclage ou le réemploi. Ils ont obtenu que les bonus et malus de cette contribution puissent être indexés au volume produit. “C’est une victoire symbolique, mais importante, car pour la première fois, on introduit l’idée qu’on peut pénaliser selon le volume produit.”

En Mode Climat a également milité et apporté son expertise dans le cadre de la loi anti Fast Fashion, actuellement en discussion, pour limiter l’impact environnementale des enseignes de mode qui surproduisent en diluant la valeur du vêtement via des salaires bas - voire extrêmement bas dans le cas de certaines délocalisations - et des pratiques non respectueuses de l’environnement.

Les conseils de Julia à l’entrepreneur·se en devenir :

Pour être reçu et écouté, il faut peser. Il faut se créer un pouvoir institutionnel, médiatique et symbolique. Ce n’est pas parce que ce qu’on dit est bien qu’on est reçu et écouté, mais parce qu’on a un moyen de pression.

  1. La personnification est importante. Il faut un visage, celui d’une personne entraînée à parler dans les médias. Les mouvements sans porte-parole, c’est compliqué. Malgré cela, il faut préserver le collectif et ne pas parler de sa marque même si on a plus de visibilité.
  2. Il faut de la ténacité. Être nombreux et dire ce qui ne va pas, c’est insuffisant. Ce qui fait la différence, c'est d’avoir l’analyse la plus juste possible, d’être rigoureux sur les chiffres et avoir des propositions de plaidoyer très carrées. Il faut alerter les politiques, les médias, faire des alliances.


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