Ça se passe comment dans les champs ? Elles sont bonnes les nouvelles de l’agriculture ? Après l’adoption de la pire loi Duplomb on a plutôt envie de se jeter dans la fosse à purin. Allez, on s’offre un petit panorama du secteur. Haut les cœurs !
Qu’est-ce qui est apparu il y a 12 000 ans et nourrit les humains de la planète ? Michel Drucker à une distribution de repas des Restos du Cœur ? FAUX. On parle bien sûr de l’agriculture. Vous savez ce truc qu’on critique tout le temps sans y connaître keutchi. Pas de not’ faut’ aussi, ça fait un siècle qu’on fuit les campagnes pour aller s’entasser en ville (80% de la population française est désormais citadine, contre 50% dans les années 30) oubliant par la même occasion comment on cultive la terre puisque notre seul contact avec la nature c’est cette plante grasse qui végète sur votre bureau et le pot de basilic mourant que vous tentez de faire perdurer en le noyant de Cristaline.
Les agriculteurs remplissent l’assiette de tout le monde alors que leur nombre diminue (2,3% d’exploitations en moins chaque année). Une désertion qui s’explique par moultes raisons : des conditions de travail de plus en plus intenables pour un salaire de misère, des syndicats (et leurs lobbyistes adorés) qui travaillent main dans la main avec l’État pour encourager une culture productiviste, un système d’aides inégalitaire, des accords de libre-échange qui créent une concurrence déloyale. Ça frise l’indigestion ! L’occasion de détricoter en deux-deux tout ce qui fout le seum aux agriculteurs (car dans le fond ce sont des gros seumeurs).
Attention, on liste, on résume mais on ne rentre pas dans le détail ! Pour aller dans le fond du sujet on vous liste à la fin quelques conseils de films, lectures et podcasts.
À chaud, la loi Duplomb (dans les ailes)
Échelle du seum envidkrevé/100 : parce qu’on est en plein dans l’actu
La droite politique française connue pour sa mansuétude (non) a voté une loi ce mardi 8 juillet 2025 dans l’espoir de venir en aide au secteur agricole. Sympa. Mais de quelle agriculture parle-t-on ? La loi Duplomb (écrite main dans la main avec la FNSEA, on y reviendra) réautorise tout simplement l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde toxique et interdit en France depuis 2020, elle va aussi faciliter l’installation de fermes-usines et l’utilisation des méga bassines.
Que demande le peuple ? Pas ça du tout justement puisque le peuple aime bien ne pas avoir de maladies type cancer et que cette loi constitue une régression majeure en ce qui concerne la santé humaine et l’écologique (deux sujets assez liés finalement), toutes deux sacrifiées sur l’autel de la compétitivité. Parmi les votants, une majorité de droite et d’extrême-droite et un petit Gabriel Attal qui prouve encore une fois sa nature mi-humaine mi-girouette.
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Joyeuse PAC
Échelle du seum 50/100 : parce que quand même l’idée de départ est pas deg
Impossible de parler d’agriculture au sens large sans refaire un point sur le fonctionnement de la PAC (Politique Agricole Commune). Celles et ceux qui connaissent, vous pouvez sauter ce paragraphe, quoique invitez-le à dîner d’abord. Pour les nullos du secteur agricole (comme moi avant d’écrire cet article) on refait le point.
La PAC est déployée en 1962 à l’échelle de l’Europe dans l’objectif de nourrir un maximum de monde pour assurer la souveraineté alimentaire du continent encore fragilisé par deux guerres mondiales. Elle puise son origine durant la Seconde Guerre mondiale : Pétain avait amorcé une politique de rationnement faisant un premier pas dans l'interventionnisme d'État sur le secteur agricole. Au sortir de la guerre, tout le monde a la dalle et De Gaulle mise sur la productivité et la mécanisation ; multitude de tracteurs américains viennent alors inonder les exploitations françaises.
La création de la PAC répond à 3 objectifs :
- Produire un max
- Assurer un revenu à la force paysanne
- Garantir des prix abordables pour les consommateurs
Si le projet est louable, on va vite se retrouver à produire beauuuuucoup trop. Il faut donc exporter. V’la-ti pas que les emmerdes commencent avec la mise en place d’accords de libre-échange basés sur la compétitivité qui permettent à la France (puissance agricole) de vendre ses produits en dehors de ses frontières. Les problèmes s’aggravent en 1992 avec le traité de Maastricht qui accouche de l’Union Européenne. Alors que la PAC était plutôt protectionniste, le traité la met sur les rails du marché mondial et de la sacro-sainte compétitivité.
Chaque année, un tiers du budget européen est alloué à la PAC afin de soutenir les agriculteurs. En France il s’élève à 9 milliards d’euros par an, c’est le plus gros budget de l’UE parce que notre joli pays possède le plus de surfaces agricoles. Eh oui, la grande majorité des aides de la PAC (7,3 milliards sur 9) sont allouées selon la surface d’exploitation. Voilà comment 20 % des exploitations agricoles touchent chaque année la moitié des aides quand les autres se débrouillent avec le reste. Sans compter les milliers d’agriculteurs qui ne touchent rien car leur exploitation est trop petite.
La FNSEA : à l’origine du problème ?
Échelle du seum : 80/100 parce que même si on est pas d’accord avec eux, leurs actions au regard de l’Europe et du monde, c’est une goutte d’eau dans l’océan du seum
Le syndicat voit le jour en même temps que la PAC, il est alors motivé par des agriculteurs qui veulent intégrer le progrès technologique dans la culture des sols (et comment pourrait-on leur jeter la pierre puisque c’était l’objectif d’État). Mais à force de tout miser sur la mécanisation, la FNSEA commence aussi à se dire qu’on serait plus peinard avec moins d’agriculteurs, c’est littéralement le constat du secrétaire général Michel Debatisse de la FNSEA en 68 qui trouve qu’on ferait mieux de dégager les fermes qui rapportent pas de tune, pas cool Mich-mich. La FNSEA compte aujourd’hui 212 000 adhérents, contre à peine 10 000 pour la Confédération Paysanne et 15 000 pour la Coordination Rurale. C’est pourquoi elle est aussi puissante et sert de levier incontournable dans les négociations avec le Gouvernement ce qui lui offre l’occasion de participer par exemple à la fucking loi Duplomb susmentionnée de ses grands morts.
Mais si la FNSEA est aussi utile, pourquoi la critique-t-on autant ? Parce qu’elle est dirigée par une clique d’agriculteurs en col blanc qui sont les premiers à profiter des politiques qu’ils mettent en place. Le syndicat n’est pas du tout représentatif des agriculteurs dont les profils sont résolument plus variés. Pour preuve, c’est le secteur qui connaît le plus de disparités de revenus (les céréaliers gagnent bien plus que les éleveurs porcins). L’unité apparente des agriculteurs que nous vend la FNSEA est donc factice.
Le secteur bio dont tout le monde se tamponne
Échelle du seum : 95/100 parce que ça serait pourtant une excellente solution pour tout le monde
L’agriculture bio, en deux mots ça se résume à : dégager les produits chimiques et les pesticides, respecter le bien-être animal et protéger l’environnement. C’est aussi simple non ? Sauf qu’en se privant des phytosanitaires, on s’expose forcément à des rendements plus faibles (dans un premier temps du moins). Si le bio était la norme pour tout le monde, ça rabattrait forcément les cartes mais comment rester compétitif face à une agriculture industrielle ? Par ailleurs, les labels imposent un cahier des charges très lourd dont la certification est payante. Certains maraîchers sont ainsi plus bio que bio sans pour autant bénéficier du moindre label.
Malheureusement, le Gouvernement français ne fait rien pour arranger les choses. La ministre de l’agriculture a récemment annoncé qu’elle allait prendre 55 millions d’euros pépouze au budget prévu pour le secteur bio et le reverserait aux Jeunes Agriculteurs (syndicat affilié à la FNSEA qui promeut l’agriculture conventionnelle) YAY.
Les exploitations agricoles basées sur un savoureux système d’endettement
Échelle du seum : 90/100 parce que l’endettement aggrave les inégalités déjà marquées
La grande majorité des agriculteurs se transmettent leur exploitation de génération en génération. Selon une étude de l’École supérieure des agricultures d’Angers, 96% des agriculteurs ont au moins un parent issu du secteur agricole, ce qui rend plus facile les transmissions à condition de pouvoir en payer les droits de succession et don de… s’endetter. Pour les “NIMA” (acronyme légèrement stigmatisant de “non issu du milieu agricole”), ils goûtent encore plus goulûment aux joies de l’endettement : comptez quelques centaines de milliers d’euros pour lancer une exploitation.
Il existe toutefois des Safer, établissements agissant à l’échelle régionale depuis les années 60 pour mettre en place une intermédiation locative et aider ainsi des actifs agricoles à transmettre leur exploitation. En gros, ils régulent le foncier agricole. SAUF QUE la Safer est le plus souvent dirigée par des membres de la FNSEA. Autant dire que les dés sont pipés. Et ça ne s’arrête pas là !
Une fois que vous avez votre exploitation (bravo), vous devez continuer à vous moderniser, agrandir votre surface agricole et donc vous… endetter. Or, dans un contexte de libre-échange, la concurrence des prix rend l’économie des agriculteurs plus instable avec des crédits toujours plus élevés et des revenus chaotiques. Il existe certes des aides en plus de la PAC comme “aide petite exploitation” mais c’est aux pays de l’UE d’en décider l’application ; et devinez quoi, la France a refusé.
Les lolo, les bibi : les lobbys
Échelle du seum : 70/100 parce qu’il suffirait juste que les lobbyistes fassent du lobbying sur des trucs cool pour que tout aille mieux
Le lobbying fait parfois des ravages. Dans le cas de la PAC, il y a eu des possibilités d’aller dans le bon sens, de lutter contre la pollution et de protéger l’environnement. La mise en place du paiement vert en 2015 était plutôt encourageante : 96 milliards investis sur 8 ans pour l’UE en plus de la PAC. Pour toucher ce pactole, les agriculteurs doivent préserver les prairies, protéger la biodiversité, lutter contre l’appauvrissement des sols. Pour cela, 7% de leur surface agricole doit être une SIE (surface d’intérêt écologique) : haie, mare, arbre, mur de pierre. Sur le papier c’est joli, mais une fois que le texte de la commission a été déposé, les lobbyistes ont fait un super taf auprès des députés pour que plus de mille amendements viennent dénaturer tout le projet de départ. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des SIE qui n’ont rien d’écolo et sont 100% compatibles avec l’agriculture intensive. La Cour européenne a statué sur le sujet : le verdissement de la PAC n’a en réalité eu d’impact que sur 5 % des terres agricoles de l’UE. C’est un énorme échec pour le paiement vert et on le doit entre autres au travail des lobbyistes. Cœur sur eux, car ils font un super boulot.
Mondialisation mon amour, passion libre-échange
Échelle du seum : 100/100 le nœud du problème
On pointe souvent la FNSEA du doigt comme expliqué plus haut. Mais le syndicat n’agit qu’au niveau français or la PAC est européenne. Le problème fondamental de l’agriculture depuis 60 ans, c’est la mondialisation. Aujourd’hui on produit des aliments en trop grande quantité qu’on est donc obligés d’exporter (la France est le 2e exportateur mondial de produits agricoles) pour se faire de la caillasse tout en important d’autres produits qu’on fabrique sur notre sol mais qui coûtent moins cher à l’importation et ne respectent pourtant pas les mêmes normes de restriction de pesticides.
Exemple : on importe 50% des poulets qu’on consomme, idem pour les fruits (ne pensez pas que la tomate achetée en hiver vient de chez nous). Ces importations de produits alimentaires ont été multipliées par 2 en 20 ans. Captez l’absurdité. Des accords commerciaux récemment mis en place comme le Mercosur (décembre 2024) contribuent à cette concurrence déloyale et ouvrent la voix à l’importation massive de produits sud-américains issus d’une agriculture nettement moins encadrée qu’en France.
Ah oui et peut-être accessoirement un tout petit peu aussi (mais je veux pas trop m’avancer) le fait qu’il y ait un (petit) souci de réchauffement climatique
Échelle du seum : DÉNI/100. Meuuuuuh noooon tout va bien.
Évidemment que tout irait presque pas trop mal dans un monde bien assaisonné (= quand les saisons partent pas en sucette) sans problème d’irrigation, de sécheresse, de canicule, avec des oiseaux pour manger les insectes. L’accumulation des aléas climatiques rend naturellement instable ce marché déjà fébrile et fait peser sur les épaules des agriculteurs une double charge : nourrir le plus grand monde en restant compétitif tout en devant préserver l’environnement.
C’est aussi pour cette raison que l’amitié entre écolos et agriculteurs n’est pas de tout repos. On se trouve d’un côté avec une forme d’écologie citadine et bourgeoise qui ne saisit pas toujours les conditions réelles de travail et des agriculteurs qui subissent cette violence de classe (à ce sujet, je vous renvoie à la lecture éclairante de Pourquoi l’écologie perd toujours de Clément Sénéchal). Par ailleurs, la colère paysanne est bizarrement mieux tolérée que celle des écolos qu’on ne tardera pas à qualifier d'éco-terroristes avant de les gazer au lacrymo, idem pour les mouvements sociaux contre la réforme des retraites. À l’inverse, les manifestations d’agriculteurs qui balancent du lisier sont plutôt “bien” accueillies alors que la finalité est la même pour tout le monde : ne pas crever la dalle.
Il ne nous reste donc plus qu’à faire un nouveau Plan Marshall de l’agriculture bio : subventionner les exploitations de petite taille, interdire les pesticides mais aussi les importations, prioriser la vente de produits français sur le sol français, imposer le sujet dans les médias mainstream (tout le monde devrait s’insurger contre la loi Duplomb) apprendre aux enfants dès le plus jeune âge à faire pousser des patates, apprendre aux journalistes dès leurs débuts comment faire pousser des patates (je m’inclus dans ce projet), reconstruire des haies, féminiser davantage la profession, détruire le capitalisme en buvant une tisane. Allez c’est bon, c’est pas compliqué en fait.
A lire, à écouter, à regarder
Agriculture : où sont passés les milliards de l’Europe ? - Cash investigation
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“Les huit paradoxes du monde agricole” Bertrand Hervieu
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