Fondateur d’un jour, fondateur toujours ? Louis-Xavier Leca, fondateur de La Cloche raconte comment il a réussi à transmettre son projet à ses co-équipiers et s’effacer en douceur.
Lorsqu’il a monté la Cloche, l’association qui lutte contre la grande exclusion en changeant les regards sur le monde du sans-abrisme, Louis-Xavier savait qu’il n’y resterait pas toute sa vie. “Je m’étais donné à peu près 5 ans”, raconte-il. Comme beaucoup de jeunes entrepreneurs, il démarre à toute berzingue, plus en mode sprint que marathon. “J’avais 27 ans, je bossais 12 heures par jour 6 jour sur 7. J’avais au moins 3 événements par semaine : une émission radio, un rendez-vous levée de fonds, une soirée organisée par l’asso pour créer des rencontres entre voisins avec et sans domicile. J’étais en scooter, je traversais tout Paris en 15 minutes. Je répondais aux appels à projet en dehors du boulot. Ça allait très loin.”
Trop vite, trop loin ?
Dans son tourbillon, Louis-Xavier entraîne une partie de l’équipe. “On était tous dans la même dynamique, c’était la période du management par la fête. C’était grisant mais personne ne prenait soin de soi. Je fumais deux paquets de clope par jour.” Dans les livres on sait que ces périodes n’ont qu’un temps, dans la réalité c’est largement vérifié. “Certaines équipes ont frôlé le burn out, d’autres se sont mises en arrêt. L’autonomie en mode tu te débrouilles peut créer de la pression si tu ne mets pas en face ce qu’il faut. Au début, tous les process étaient dans nos têtes.”
Il faudra attendre la 3e année pour commencer à rationaliser le projet, à créer de la méthode et des outils, “ça a fait fuir une partie de l’équipe des débuts qui ne se retrouvait pas dans le délire reporting and co.” C’est à cette même période que la direction devient plurielle. Quatre personnes forment désormais le comité de direction. “ Je me méfie des gouvernances centralisées qui font qu’impact et égo finissent par se mélanger et empêchent de passer de l’association au mouvement. Le syndrome du dictateur, qu’on étudie sur les bancs de la fac,ce n’est pas ce que je voulais.” Ainsi, lentement mais sûrement, Louis-Xavier s’efface et pousse sur le devant de la scène d’autres personnes de son équipe, avec ou sans abri.
Ce n’est qu’un au revoir…
Cinq ans, ça passe vite et 18 mois avant la date fatidique (qui n’était pas gravée dans le marbre mais un peu dans la tête de Louis-Xavier), le désormais trentenaire prépare activement le terrain. “Il faut rassurer les équipes, leur montrer qu’un départ en douceur est possible, qu’il y a d’autres personnes pour faire grandir le projet.” Dans le même temps, Louis-Xavier doit gérer ses émotions et ses peurs. “C’est comme un gosse que tu vois marcher, tu es fier et en même temps tu sais qu’il va t’échapper. Et puis tu dois gérer tes frustrations quand tu vois passer des trucs qui ne te conviennent pas.” À cette période, Louis-Xavier se coltine aussi tous les dossiers désagréables : gestion des frictions, ruptures conventionnelles. “Je voulais partir en nettoyant un peu les choses. Je faisais des trucs en solo pour qu’on puisse dire c’était de ma faute si ça ne plaisait pas.”
Au moment de quitter le navire, Louis-Xavier imagine rester à quart temps avant qu’un fellow d’Ashoka UK, lui rappelle qu’il faut “jump off the boat” (“plonger hors du bateau”) pour éviter que plane l’ombre des fondateurs. Février 2020, Louis-Xavier s'exécute et vogue vers de nouveaux horizons. Depuis, la Cloche n’a pas coulé, dix directeurs d’antennes co-dirigent l’association, l’équipe du siège est solide, Margaux Gaillard est déléguée générale et mène la barque à bon port. Bon vent capitaine !