Normandie-Est, tout le monde descend. Dans une région vieillissante où le chômage des jeunes est préoccupant, l’association Accès a créé un nouvel Atelier Chantier Insertion autour de la rénovation d’une ancienne ferme normande. Visite.
On dirait une carte postale ou une publicité de l’office de tourisme tellement le lieu concentre tout ce qui fait le charme de la Normandie. Le domaine Terres de Champeaux, à quelques coups de pédale du centre de Bernay égraine sur 7 hectares un manoir du XIXe siècle, des arbres pluri centenaires, des écuries, un pressoir, une chaumière à colombages, une bergerie, un jardin et verger conservatoires… C’est vert, c’est beau, c’est bucolique et, surtout ici, tout reprend vie, les bâtiments comme les salariés en inclusion.
Bâtir et se reconstruire
Depuis la fin de l’année 2020, l’association Accès (pour Accueil Contact Conseil Emploi Services) a repris ce site abandonné pendant 7 ans pour y créer une éco-ferme dédiée à la conservation des races normandes et un écomusée “vitre “à ciel ouvert. Catherine Fossard, ancienne agricultrice sur le plateau voisin du Neubourg coordonne et anime le projet avec une passion contagieuse. Dans son bureau, une carte du domaine résume l’ambition pour le lieu. On y voit l’abeille noire, la poule de Gournay, la chèvre des Fossés, le canard de Duclair, le lapin normand, l’âne du Cotentin, le cheval OCB normand… au total 23 races normandes et 130 animaux qui devraient prendre place en 2024.
« L’idée est de réhabiliter ce lieu et de le faire vivre grâce à des personnes en inclusion, explique celle qui bannit le terme insertion et met tout en œuvre pour passer de l’assistanat à l’autonomisation. Il s’agit ici de faire sauter tous les verrous qui empêchent certains individus de se faire une place dans la société : santé, logement, emploi. » Les employés en contrat de 4 mois renouvelables 6 fois et 28 heures par semaine bénéficient d’un accompagnement aussi bienveillant que renforcé. « Chez nous, il y a monsieur et madame tout le monde, tous ont au moins un CAP et ont connu des accidents de parcours à un moment de leur vie, personne n’est à l’abri »
Semer l’avenir
Dans le jardin conservatoire des variétés et légumes oubliés normands , magnifique tableau végétal librement adapté d’un dessin de 1608 des jardins de l’abbaye de Bernay, des hommes s’affairent autour d’une petite parcelle. Grelinette à la main, ils aèrent le sol pour faire pousser la centaine de variétés locales dans cet Eden maraîcher. Ici un carré de fruits rouges, là des petits pois carrés (le coco de Pont-Audemer), plus loin, 40 variétés de tomates : la Belle bacchante, l’Atomic Fusion, l’italienne noire, la Gargamel… L’un après l’autre, ils témoignent. « Je suis là pour rebondir, confie Gilles 54 ans. J’ai appris le nom des plantes, comment semer, s’en occuper. » Stéphane, après 22 ans en cuisine souhaite être palefrenier, un peu comme Jean-Philippe qui se verrait bien travailler avec les animaux après avoir passé une quinzaine d’années comme maçon-échafaudeur. Jean-François aimerait quant à lui rester un peu dans la partie. « Je cherche à travailler dans les espaces verts. »
En attendant, les 37 personnes accompagnées depuis mars 2021 réactivent des savoirs souvent bien enfouis. « Rien n’est laissé au hasard, toute activité a des vertus pédagogiques, confie Catherine. Le plan du jardin pédagogique a permis de reconsidérer certaines notions mathématiques, d’apprendre à concevoir un plan, de savoir se positionner dans l’espace. » Toute l’année, sans relâche, la coordinatrice organise des Olympiades de tondeuse, fait monter celles et ceux qui n’ont pas le permis sur un tracteur et imagine mille activités pour rendre l’apprentissage ludique. « Ici, on ne fait pas pour faire. Tout est construit pédagogiquement pour faire monter en compétences et sert aux personnes en inclusion comme au projet. »
On apprend notamment à bien se nourrir en mettant les mains dans la terre. Les jardins solidaires, en forme de mandala (une autre façon de faire des calculs de surface) sont réservés à la quinzaine de salariés qui cultivent leurs propres légumes.
Work in progress
Depuis l’arrivée de l’association et de ses salariés il y a 3 ans, le site a bien changé. Les ronces ont été enlevées, les abords et l’intérieur des bâtiments dégagés, les murets de pierre reconstruits, un verger conservatoire fait de 27 variétés de pommes normandes a été planté, des animaux des éleveurs voisins accueillis…
Il reste encore beaucoup à faire, ça tombe bien c’est tout l’enjeu de ce chantier. Dans quelques années, la maison du gardien sera reconvertie en gîte meublé, les anciennes écuries, bergeries, porcheries seront réhabilitées avec le réseau Maisons paysannes de France et deviendront des salles de rencontre, des bureaux ou des ateliers techniques. La petite chaumière pourrait bien abriter un musée agricole. Côté manoir, le clou historique du lieu, il pourrait devenir un lieu de séminaires et d’événementiel. Et les premières races locales devraient très prochainement faire leur entrée.
Quand tout sera réhabilité, Gilles, Stéphane, Jean-Philippe et toutes les personnes qui passent par ici, auront sans doute pris leur envol. Ils auront alors, symboliquement, accroché un petit nichoir à leur nom dans le grand arbre tout près du portail d’entrée. Un porte-bonheur à plumes pour leur souhaiter bonne route et bon voyage.
Lauréat du programme Inclusion & Ruralité de la MSA dont l’objectif est de susciter l’implantation de structures inclusives en zones rurales isolées, le Domaine de Champeaux fait partie des 35 projets sélectionnés dans toute la France. Pendant 3 ans, l’activité d’inclusion de la ferme bénéficie d’un soutien technique et financier conséquent dont l’accompagnement au long cours de makesense.