La coopération multi-acteurs serait-elle la clé pour transformer durablement les territoires ? Reportage et mode d’emploi en Biovallée où le vivant devient partie intégrante de la transition.
L’histoire de la Biovallée prend source dans les années 70. La vallée de la Drôme, marquée par l’exode rural, voit débarquer en nombre des soixante-huitards pleins d’utopies pour l’avenir. Cette génération d’entrepreneurs, d’enseignants et d’agriculteurs bio, arrive avec des idéaux de partage, des convictions post-matérialistes et écologiques importantes. “Soyez réalistes, demandez l’impossible”, est l’un de leur slogan. Il trouvera tout son écho dans ce territoire.
En effet, à cette époque la rivière de la Drôme est très polluée (décharges à ciel ouvert, produits chimiques de la viticulture et des entreprises…). Un projet voit le jour fin des années 80 à l’initiative notamment de la Communauté de communes du Val de Drôme pour “rendre la rivière baignable”.
C’est le début de l’épopée Biovallée. Une dynamique collective exceptionnelle se met en place pour dépolluer la rivière. Tous les acteurs s’y mettent : citoyens, entreprises, loueurs de kayak, collectivité… Et ça marche ! Cette action collective, couplée à la mise en place d’initiatives écologiques (collecte sélective des déchets en 1996…), permet de dépolluer entièrement la rivière, et les habitants peuvent enfin retourner s’y baigner !
Aujourd’hui, 50 ans plus tard, le territoire de la Drôme, “la vallée du vivant”, est un laboratoire de transition écologique, marqué par des coopérations territoriales fortes et par une agriculture bio à 40%. Comment la Biovallée a-t-elle réussi à créer cette impulsion de transformation systémique sur son territoire. Que peut-on retirer comme apprentissage ?
La Biovallée, un concept avant tout
Commençons par définir la Biovallée, cet “objet territorial non identifié” qui n’a pris cette appellation officielle qu’entre 2002 et 2006, dates de la création de la marque Biovallée® que le site internet de l’association éponyme définit comme un “vecteur de coopérations, symbole d’une démarche globale de « développement durable » (en référence au rapport Brundtland)”.
En effet, pendant longtemps personne ne savait trop ce qu’était réellement la Biovallée. Ce flou, semi-volontaire, avec du recul, a eu de nombreuses vertus. Il a permis aux acteurs locaux de proposer des projets divers et variés, sans se confronter à des critères de sélection trop drastiques. Sans s'en rendre compte, la Biovallée a créé un espace d'innovation où toute personne motivée se retrouvait entourée pour mener à bien son projet. Aujourd’hui, la Biovallée est toujours un objet hybride :
- C’est un territoire géographique : une “biorégion” (bio = vivant), à l’échelle du bassin versant de la rivière Drôme, soit un écosystème extrêmement varié (des montagnes, des plaines et des terres agricoles…) et recouvrant le périmètre administratif de 3 intercommunalités.
- C’est un projet territorial avec une ambition partagée par les acteurs qui s'engagent pour la transition écologique et sociale.
- C’est une association depuis 2012, au service du territoire et de son ambition.
- C’est une marque déposée début des années 2000 par l’intercommunalité du Val de Drôme et aujourd’hui gérée par l'association Biovallée. Seuls les acteurs s’engageant pour la transition écologique et sociale peuvent utiliser cette marque.
Ainsi ce commun territorial qui n’appartient réellement à personne, et qui est appropriable par tous les acteurs engagés est une vraie force.
Lire aussi → 10 projets qui boostent la transition énergétique
Catalyseurs de coopérations
Depuis 12 ans, l’association Biovallée joue un rôle important dans l’accompagnement à la mise en œuvre du projet de territoire. Elle a clarifié récemment sa raison d’être : “la coopération entre et au service de tous les acteurs qui s’engagent pour une transition écologique et sociale du territoire”.
Ses missions ? Faire réseau et animer des collectifs d’acteurs locaux, faire émerger et porter des projets collectifs d’intérêt territorial ou encore capitaliser et transmettre les savoirs utiles à la transition.
Sa structuration permet d’enclencher des dynamiques collectives du territoire.
- L’association a développé et gère, en partenariat avec les 3 intercommunalités, le projet “Territoires d’innovation” qui finance une quarantaine de projets de transition (agroécologie et bioéconomie, transition énergétique, mobilité et économie circulaire, etc.) à hauteur de 5,7 millions de subventions et des entreprises du territoire en investissement. Le territoire avait déjà bénéficié précédemment d’une subvention structurante de 9,4 millions d’euros venant de la Région.
- La gouvernance de l'association intègre l’ensemble des acteurs du territoire avec ses 4 collèges et ses 250 adhérents : les collectivités, les acteurs économiques, les acteurs associatifs et les habitants
- Enfin, l’association se développe sur de nombreuses thématiques : eau, sol et biodiversité, économie circulaire, tourisme durable et apprenant, jeunesse, et encore savoirs et innovations.
Exemple du projet Réut : l’économie circulaire de l’eau
De nombreux projets de coopération ont été enclenchés directement ou indirectement par l’association, comme le projet Réut de réutilisation des eaux usées traitées. On vous raconte ?
Jérôme est agriculteur et certaines de ses terres sont à proximité d’une station d’épuration. En faisant visiter son exploitation à un ami chercheur à l’INRAE, ce dernier lui soumet une idée à la volée : “Pourquoi tu n’utilises pas l’eau de la station d’épuration pour irriguer tes champs ?”. Cette proposition anodine va donner naissance à un projet de grande envergure qui vise à utiliser les eaux traitées pour couvrir 10% des besoins d’irrigation du territoire. Il existe 5 projets de ce type en France, et l’État prévoit d’atteindre le millier d’ici 10 ans.
Une étude de faisabilité est en cours sur 3 sites retenus pour valider les expérimentations. Elle traite les enjeux techniques, économiques, fonciers et réglementaires. En effet, l’usage de ces eaux usées traitées est très cadré (et heureusement). Pour en savoir plus : eaux usées traitées, une piste sérieuse pour l’irrigation en Drôme.
Cet exemple est l’un parmi des centaines. Ici, “l’imagination au pouvoir” chère à 68 permet de redonner aux différents acteurs la capacité et la légitimité pour agir. Comment ? « L’association Biovallée, ce n’est pas un lieu de pouvoir où les gens arrivent avec des idées arrêtées, explique Yannick Régnier, son directeur. C’est un lieu où les débats et les échanges sont nombreux, à travers une posture d’ouverture et de co-construction. Ensuite, tout le monde est réuni autour de la même cause et a envie que ça avance. La transition écologique prime sur le reste, et même s’il y a des opinions différentes représentées, les membres arrivent à mettre leurs idéologies de côté et apprendre les uns des autres. »
Ainsi, en adoptant cette posture de facilitation, l’association Biovallée permet aux meilleurs des mondes associatifs, économiques et institutionnels de se retrouver autour d’une table pour parler des enjeux qui comptent et se lancer. Alors si vous êtes maintenant convaincus et si vous souhaitez mettre en place des coopérations territoriales, on en parle !
Les transitions seront systémiques ou elles ne seront pas
Et ça, les Drômois l’ont compris depuis des décennies. Pour que des projets de grande envergure voient le jour et contribuent à des changements de posture et de réglementation en faveur de l’environnement, quelques enseignements peuvent être tirés :
- L’importance du temps long d’interconnaissance des acteurs
- La posture du “faire-ensemble” et de la construction collective entre tous les acteurs, qui doivent mettre leurs intérêts propres et idéologies de côté
- L'adaptation du projet à son territoire et à son contexte si particulier
- L’acceptation d’avancer dans l’incertitude et dans le flou
- Des modèles économiques et juridiques complexes, qui sont à appréhender