Comment développer des structures inclusives en zone rurale ? Par la coopération territoriale. Et comment développer la coopération territoriale ? Par la rencontre, étape préalable et indispensable. Un cycle de rencontres joliment baptisé "La coopération prend la clé des champs" a ainsi été lancé par la MSA. Après Bordeaux et la Normandie, c'est sur Issoire et le “Vivre ensemble” que l’on s’est arrêtés le 27 novembre dernier. Reportage.
Cela fait un peu partie des mots valise qui nous paraissent tellement "gentillets" ou "faciles" qu’on en oublie leur importance : "vivre ensemble", "tisser du lien". Apprendre à vivre sur un même territoire, à parler à l'autre, à faire ensemble est aussi essentiel que difficile dans une société où tout nous incite à nous méfier, à critiquer, à juger.
L'urgence, c'est de sortir de nos grandes idées, de nos grands discours, de la théorie et de nous confronter au réel. Qu'est-ce que cela veut dire "se rencontrer" et "créer du lien" dans la vraie vie ? Comment créer de l'unité et de la solidarité ? Quels espaces d’inclusion propose-t-on et comment répondre correctement aux besoins des habitants du territoire ?
Direction Issoire où une poignée de terriens et terriennes ont mis les mains dans le cambouis. Et on vous prévient, le cambouis, c’est tout sauf théorique.
Issoire, quelques copains et des post-its
Cela pourrait (presque) être une réunion familiale. En cette fin de journée, l'ambiance est ambiançante au FJT d'Issoire, le Foyer des Jeunes Travailleurs. Le lieu est convivial, l'accueil chaleureux et les accueillis visiblement heureux de se lancer dans ce temps de rencontre. Car oui, c'est bien de cela dont il s'agit ce matin. Se rencontrer. Se rencontrer pour parler... de la rencontre, du lien. La mise en abyme n'est pas anodine.
Derrière ce temps se cache le programme Inclusion & Ruralité soutenu et lancé par la MSA et pour lequel makesense accompagne les projets et anime des temps collectifs.
Un projet beau comme un camion
Comme lors des éditions jumelles précédentes - la dernière en date traitant d'alimentation en Normandie - chaque session met à l'honneur une organisation lauréate du programme. Et permet ainsi de promouvoir ses actions, ses luttes et une thématique particulière. A Issoire, c'est le projet API Truck's qui est sur le devant de la vitrine. API Truck's, cela pourrait être le sujet principal d’une BD loufoque et joyeuse, un bus itinérant dans les villages avec dans son coffre une étonnante palette de propositions : cela va de la boisson au cours d'informatique en passant par les activités culturelles.... Son fonctionnement est atypique et permet par exemple l'intégration progressive de salariés en insertion professionnelle dont la majorité est en situation de handicap.
C'est donc autour de cet OSNI, cet Objet Social Non-Identifié que s'organise la rencontre du jour.
Loin des yeux... et trop loin du cœur ?
Ce matin, on le sent : les gens, les organisations se connaissent déjà. Se voient même, régulièrement. Mais la suite de la journée prouvera que "se croiser" est bien différent de se rencontrer, de s'asseoir, pour créer et faire ensemble. Au milieu d'une semaine remplie de multiples projets, prendre le temps de se sortir le nez du guidon est parfois un luxe. Ce type de rencontre, c’est un peu comme une pizza : plus les participants, ses ingrédients donc, sont diversifiés, plus savoureux ce sera. A Issoire, la pizza est joliment colorée des 27 participants : porteurs de projet, associations, acteurs publics, ressourcerie, épicerie solidaire, café associatif, tiers-lieu, structure d'insertions, incubateurs, etc. Les acteurs du territoire sont là, preuve que le désir - et besoin - d'échange est là. Leur point commun : le lien social est au coeur de leurs actions.
Au menu : l'autre, l'autre et l'autre
Lorsque la question de la définition du lien social est posée, un silence se fait. Silence trahissant non pas un manque d'idées mais plutôt un discret "par où commencer ?" planant au-dessus des têtes. Comment dérouler l'ADN de ce concept de manière simple ?
Rapidement, les bouches osent : "mettre en relation des gens qui n'en auraient pas eu l'occasion autrement" "trouver des prétextes, des lieux propices à la rencontre", "désir de vivre ensemble", "agir local, penser global", "ce qui structure une société"...
Exactement ce qu'est notre société aujourd'hui, n'est-ce pas ? Hum. Ou ce qu'elle pourrait être... ? Allez, disons, ce qu'on espère qu'elle sera un jour.
C'est en tout cas ce qu’expérimentent au quotidien les 5 organisations qui prennent la parole pour présenter leurs actions. Et là, c'est presque magique. Peu à peu, on découvre comment, rien qu'à Issoire et dans ses environs, le tissu local s'organise pour protéger l'essentiel : le lien.
Les récits sont riches à souhait : il y a API Truck's bien-sûr, mais il y a aussi la Ressourcerie d’Issoire qui tente de réduire les déchets et créer de l'emploi, véritable moteur de l'ESS sur le territoire par ses activités, ses chantiers d'insertion, son restaurant solidaire, son festival des solidarités, il y a la Clef, café associatif, co-géré par une multitude bénévoles et 3 salariés, dans lequel ont lieu des événements culturels, des ateliers de tous types, il y a Job Chantiers et son projet La roue tourne qui promeut la mobilité douce, il y a Alternateur 63 qui est né d'une volonté de sauver le bourg de Sauxillanges, et qui remplit vaillamment son rôle d'épicerie mais aussi de lieu convivial. Grosse bouffée d'air frais. Pilule d'enthousiasme à l'efficacité immédiate.
Les présentations étant faites, le président de la Caisse MSA Auvergne, Philippe Panel, donne le ton : "Au-delà de l'initiative, je souhaite que nos actions aboutissent, qu'il y ait du concret". Parler, oui, agir, surtout. A lire avec le ton de Denis Brogniart sur fond de musique d'aventure : il est temps de relever le défi de l'action.
De la réalité au rêve
Vous connaissez la méthodologie des forum ouverts ? Si non, je vous explique. Proposez à vos participants de venir avec leurs enjeux, leurs questions, les sujets qu'ils souhaitent aborder. Faites-en l'inventaire puis faites voter l'ensemble du groupe pour en retenir les plus plébiscitées.
C'est ce qu'il se passe à Issoire. Au milieu de cette richesse de perspective et d'actions, les participants se partagent les freins qu'ils rencontrent au quotidien, freins qui pourraient être levés par la coopération ? C'est en tout cas le pari qui est fait.
Les mots volent, les post-its se remplissent et les idées pleuvent, faisant faire des 180° aux cerveaux en ébullition : "on voudrait faciliter la mobilité sur le territoire", "quid de la question du numérique ?", "pour nous structures de l'ESS, ce qui bloque, c'est l'accès au foncier". Et puis il y a certains sujets qui semblent toucher tous les présents, de près ou de loin. Notamment la question des forces vives : "promouvoir le bénévolat, c'est notre envie... mais comment on donne envie ? C'est ça ma question aujourd'hui", "oui, et aussi, comment mieux communiquer ? Pour pousser les gens à sortir, à faire des choses, notamment la génération du dessus ?". Et la liste est encore longue.
A partir de là, 3 sujets émergent. 3 sujets... de taille, voyez vous-même :
- Comment intégrer les enjeux liés aux dérèglements climatiques à nos activités ?
- Comment organiser au sein de notre territoire des espaces de dialogue comme celui-là ?
- Comment mobiliser, s'adresser à des gens au-delà de nos bulles ? Comment tisser du lien avec l'autre, comment élargir son public cible ?
Vous avez 1 heure. Ou toute une vie, comme vous voulez. Partir de ses vécus et voir l'étape d'après, celle qui enthousiasme et celle qui fera avancer la machine dans le bon sens.
Écris l'Issoire
Les partages issus des ateliers sont denses et donnent la direction. "On a réfléchi aux enjeux d'aujourd'hui et ce qu'ils deviendront demain" résume-t-on simplement dans le groupe travaillant sur l’intégration des enjeux climat aux actions des organisations. Pour eux, les solutions ne se trouvent pas tant dans le "quoi" ou le "pourquoi" mais bien dans le "comment". Intégrer le climat n’est possible qu’avec des outils et ce sont bien de ces outils là que manquent certains de ces acteurs réunis à Issoire. Outils de diagnostic, de prospective, de cartographie locale par exemple. La coopération pour se partager ces outils est cruciale.
Ce temps de partage prend tout son sens lorsqu'est évoquée l'importance du lien en temps de crises : "Si on prend le temps de se connaître et d'apprendre la coopération avant les crises, on prépare la suite". Et c'est à ce moment-là qu'une bière et quelques bouts de quiche prennent une noblesse toute nouvelle...
Concernant le second groupe, il amène un sujet directement en lien avec le 3ème groupe. La rencontre d’un autre qui nous ressemble, c'est facile. La provoquer quand il ne fait pas partie, a priori, de notre univers, c'est plus compliqué. Et c'est pourtant un oxygène nécessaire : "l'entre-soi crée de la lassitude" entend-on dans les retours des groupes. L'enjeu est donc de sortir pour mieux se retrouver. Les idées concrètes pour déclencher ces "explosions de silos" sont là : des rencontres thématiques dans lesquelles Jean-Michel viendra non pas par engagement mais parce que le thème lui parle. Des rencontres itinérantes aussi : venir et non pas attendre qu'on vienne. "Il y a quelque chose à faire avec les têtes de réseau, il faut les identifier et les mettre à contribution" souligne également une participante.
Le dernier groupe traitant de l’élargissement de la cible touchée soulève de nombreuses questions. Comment on raconte ce que l’on fait au quotidien ? Comment on fait grossir ceux et celles qui nous soutiennent ? Issoire en est l'exemple parfait : les choses existent et le désir de le faire exister aux yeux d'un plus grand nombre appelle la prochaine étape. Quand Cyril Dion lance "Demain", combien sont ceux et celles qui découvrent un monde et embarquent avec excitation ? C'est là aussi ce qui anime les discussions.
Et elles vont continuer, autour d'un apéritif, autour des planches, des bières locales proposées par API Truck's. Et elles vont continuer parce que l'envie d'être ensemble, de construire à plusieurs est bel et bien là. Et elles vont continuer parce qu'à Issoire comme ailleurs, c'est le trajet le plus court pour prendre soin de l'autre dans un monde en crise.
Après Issoire, les participants et participantes repartent dans leurs valises avec des pépites à partager plus largement :
- Se connaître ne suffit pas à travailler ensemble : il faut des temps dédiés.
- La coopération peut vraiment, concrètement servir la mobilisation de public différent, de nouveaux bénévoles. Et cet enjeu a de fortes spécificités liées aux territoires.
- Le vivre ensemble n’a de sens que lorsqu’il est vécu. C’est l’expérience et le terrain qui sont ici les seules figures d’autorité.
- Le vivre ensemble est un jeu de funambulisme entre la consolidation nécessaire des liens avec ses alliés, et l’ouverture permanente à d’autres univers que le sien.
- La richesse des actions de terrains est proportionnelle aux besoins de communication et de recrutement de forces vives pour amplifier l’impact.