Elle s'appelle Yaël Dehaese, se définit comme une "working girl", une passionnée-créative-hyperactive. Son combat ? L’égalité femmes-hommes au sein d’une grosse boîte : la Société Générale.
"Dans un groupe aussi énorme que ça - 117 000 collaborateurs - tu as plusieurs vies. Et c'est toi qui peux choisir de construire ton job et de le façonner au fur et à mesure". Yaël 50 ans, a mis un pied à la Société générale il y a 22 ans et n’en est jamais partie.
Le jour où ça a commencé à bouger
Lorsqu’on lui demande à quel moment elle a commencé à "bousculer les choses", Yaël répond sans aucune hésitation : 2013. "Le moment clé, c'est cette conférence à laquelle j'ai assisté, l'intervenante s'appelait Isabelle Germain, du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. À partir de ce moment-là, mon état d'esprit de hackeuse-bousculeuse ne m'a plus jamais quittée".
Yaël, alors trader en salle des marchés, décide de rejoindre l'association des femmes cadres de l’entreprise "Féminin by SG". Après un atelier de développement personnel proposé par cette association, une des animatrices l'invite à prendre un café et lui propose de devenir animatrice. Puis tout s'enchaîne : "j'ai animé, ça m'a plu, j'ai créé mes propres ateliers, et comme mes compétences en communication sur les réseaux sociaux et l'IT (Innovation et Digital) manquaient à l'association je me suis impliquée de plus en plus, j'ai fini par rejoindre le bureau, puis je suis devenue secrétaire générale".
Saisir ou provoquer, telle est la question
La vie, les vies, à la SoGé continuent de défiler. "Un peu plus tard, j'ai quitté la salle des marchés pour rejoindre l'IT. Mon métier a changé mais dans les deux cas au sein d’univers quasiment exclusivement masculins". Lorsqu'elle arrive dans les départements IT, ce qui représente 25 000 personnes, c'est une période de révolution autour de l'intelligence artificielle et du digital en général "ça explose dans un secteur où, encore une fois, les femmes n’ont pas leur place". Au même moment, en 2017, le DG de la Société Générale, Frédéric Oudéa, lance l'Internal Startup Call, un appel à intrapreneuriat. En gros, les collaborateurs et collaboratrices qui souhaitent lancer un projet d'entrepreneuriat en interne candidatent, et, s'ils sont retenus, rejoignent des cohortes qui seront incubées dans différentes pépinières.
Pour Yaël, cela arrive à point nommé. Son objectif : ouvrir les portes de l'IT aux femmes. Son projet : s'attaquer à la racine et proposer aux jeunes filles - à partir de 7 ans - d'apprendre à coder en python simplifié. Son projet est sélectionné et sera incubé... chez makesense. Par la suite, la start-up s'ouvrira aux personnes en situation de handicap, aux enfants des quartiers, etc. "IT4Girls" - d'abord micro-entreprise deviendra ensuite une SAS sous le nom de Divers-IT - rencontrera un gros succès en interne… et Yaël devient Responsable Diversité pour l'IT du groupe, peu après.
La réalité, à chaque tournant
Du côté de sa vie personnelle, c’est un peu plus compliqué. Quelques années après le lancement de sa start-up, Yaël est violentée par son compagnon. "Je me suis retrouvée moi-même femme battue". Le choc est d’autant plus grand qu’à cette même période, un féminicide a lieu à la Délégation Régionale de Lille, dans le parking de l’une des Directions du Groupe. "Souhaitant me mobiliser sur ce sujet, j'ai monté une association pour que des femmes témoignent, j'ai écrit un livre où je donne la parole à 12 d'entre elles". Yaël prend conscience du chemin qui reste à parcourir sur le sujet des violences conjugales. Le sujet fait le buzz sur les réseaux et le message de Yaël est clair : "la violence peut toucher n'importe quelle femme".
À la suite de cet épisode, la DRH du groupe Caroline Guillaumin propose à Yaël de devenir cheffe de projet diversité sur les violences conjugales et domestiques. "Quand on dit qu'une femme sur dix est victime de violences, cela veut dire que chez vous, à makesense, il y a 5 ou 6 qui en vivent. Chez nous, avec 120 000 salariés, ça fait beaucoup beaucoup de monde". Le défi est de taille.
Merci, au revoir
Malheureusement, comme cela arrive dans de grands groupes, le sujet qu’on lui avait confié de Diversité et Inclusion lui a été retiré et on lui a proposé de travailler sur d’autres projets, ce qu’elle a accepté. C'est aussi ça la réalité d'une grande entreprise
Comme d’habitude, Yaël en profitera pour ouvrir une nouvelle porte, c’est ce qu’on appelle "être passionnément opportuniste". Si la première partie de l'histoire de Yaël donne la part belle au "S" de la RSE, la suite est différente.
Récemment, son manager a lancé un appel à candidatures pour se former sur la fresque du climat. Pas de réponse. "Si t'as personne j'y vais", répond Yaël. Et puis derrière, breaking news : 30% des collaborateurs vont être formés à la fresque. Yaël se retrouve presque par hasard au cœur du dispositif. "Un truc incroyable". Elle devient donc animatrice pour la fresque du climat, puis change de métier pour devenir chargée du programme de réduction de l'empreinte carbone de l’IT du groupe. "C'est avant tout ma capacité à saisir les opportunités qui fait que ça marche".
Les deux conseils de Yaël à ceux et celles qui veulent bousculer aussi
- Ne pas écouter (trop) ses collègues. "Quand le Start-up call a été lancé, j'ai créé un atelier de coding pour tester mon idée "IT4girls". Mes collègues qui travaillaient avec moi sur le sujet de la mixité m'ont conseillé "de tester plusieurs fois la première année et de postuler l'année suivante. "Jamais de la vie. J'ai postulé direct, après avoir fait un seul test, ça me suffisait". Pour Yaël, il ne faut pas attendre d'avoir testé ses projets 10 000 fois, sinon rien ne se fait. "Le train ne passe qu'une fois".
- Ne jamais prendre de haut qui que ce soit. Être généreux dans les échanges, donner autant qu'on peut. "J'étais chez makesense à une soirée à boire des bières (étonnant, tiens). Un type vient me voir, un certain Mickaël, il me parle d'une fille qui veut monter la même chose que moi (à l'époque Yaël est en plein développement d'IT4girls. Je dis ok, même si je n'ai peut-être pas un énorme intérêt à discuter avec elle, son projet est encore une idée et le mien est déjà à un stade bien avancé. La mise en relation est faite. La personne me parle de son projet - plutôt destiné aux femmes adultes quand je m'adresse aux jeunes filles - je la mets en contact avec tout mon réseau et fais tout ce que je peux pour la soutenir. Et puis à la fin de la discussion, je réalise en discutant avec elle qu'elle est la fille de Frédéric Oudéa, le DG de la Société Générale ! Chance incroyable ! La jeune femme demande à son père où en est le projet IT4girls. Et quelques semaines plus tard, le projet reçoit un coup d’accélérateur. Une histoire digne d’un conte de fée. Parfois, on ne voit pas l'intérêt de quelqu'un pour soi, on n'a pas envie de lui partager nos ressources, et puis en fait s'ouvrir et donner finit toujours par ouvrir d'autres portes pour soi aussi.
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