Pendant le premier confinement, dans les quartiers nord de Marseille, des employés aidés par des associations locales ont réquisitionné un restaurant McDonald pour en faire un lieu d’aide alimentaire et d’insertion professionnelle. Comment le collectif a permis de transformer ce symbole de la malbouffe en espace social et solidaire si bien implanté dans le quartier ? Antoine Delaunay et Irène Colonna D’Istria de l’équipe communautés de makesense racontent.
Une initiative héritée d’une lutte syndicale
L’action collective est parfois une question d’héritage, presque d’ADN. C’est le cas de l’Après M qui s’inscrit dans la continuité d’une longue lutte à l’échelle locale contre la multinationale MacDonald’s. Revenons en arrière pour bien comprendre. Dans les années 90, la firme s’implante dans les quartiers nords de Marseille, et recrute des habitants du quartier pour son restaurant de Sainte-Marthe. Au fil des années, la lutte syndicale, favorisée par les liens communautaires préexistants entre les salariés tous originaires des environs, s’organise jusqu’à l’obtention de meilleures conditions de travail de tous les MacDonald’s de France. Loin de s’en satisfaire, les salariés de Sainte-Marthe tentent de porter leur lutte à l’échelle nationale.
Quelques mois avant le début de la pandémie, MacDonald’s France organise la faillite du restaurant de Sainte-Marthe et le laisse à l’abandon, clefs sur la porte imaginant que “les vandales” des quartiers nords auraient tôt fait de le piller ou de le saccager, un bon moyen de s’en laver les mains. Il n’en est rien, les anciens salariés, rompus à la lutte, occupent le lieu chaque jour et chaque nuit, désireux de sauver les 70 emplois concernés. Au fil des jours, dans ce quartier populaire où les communautés d’entraide comme les associations sont nombreuses, la résistance s’organise et s’étoffe jusqu’à créer l’Après M, une sorte de banque alimentaire et bien plus encore…
L’Après-M est un combat pour l’emploi et contre la misère
Des valeurs omniprésentes
Les gens sont réunis ici pour “aider les plus souffrants," le credo est prononcé à chaque fin de phrase des personnes qui gravitent autour de l’Après M et décliné sur les murs sous la forme de statuts, de valeurs, de slogans. On retrouve ces propos dans les innombrables interviews des leaders du mouvement dans la presse locale ou internationale. Cet objectif clair, observable, intégré par tout le monde permet de créer une véritable culture d’organisation. Cette culture forte qui se transmet aux nouveaux par l'intermédiaire de rituels plus ou moins formels permet à l’Après-M de fonctionner avec peu ou pas d’instances formelles de décision. Quelques exemples ? On suggère à tous les nouveaux arrivant de regarder le reportage Macdonald contre les quartiers nords de Marseille pour comprendre l’historique. L’adhésion à la SCIC qui permettra de racheter les murs est explicitée à travers des vidéos didactiques. Résultat, les membres de la communauté connaissent et respectent suffisamment le projet pour éviter en amont des dissonances liées à des incompréhensions ou à des conflits d’égo.
Aussi, quand on demande aux personnes croisées sur place ce qui organise leurs journées, les rapports entre personnes, les prises d’initiative, la coordination des associations, elles vous répondent invariablement qu’il n’y a pas de règles (alors qu’elles sont affichées sur les murs), que les choses s’organisent toutes seules, que les frigos finissent par se remplir avant la distribution du lundi. Les initiatives comme uber solidaire qui livre à domicile les personnes ne pouvant venir chercher les colis alimentaires, l’idée d’un poulailler ou d’une permanence juridique pour les personnes ayant besoin de s’inscrire au CROUS, à la CAF ou autres semblent émerger et être portées spontanément sans qu’il y ait besoin de demander la permission. Un bénévole qui est là depuis un an nous confie à propos du leader historique du mouvement : « je crois que je ne l’ai jamais vu donner un ordre ».
Une culture populaire
Certaines figures historiques du collectif sont des organisateurs, cuisiniers ou orateurs hors-pair, mais ce n’est clairement pas le cas de toutes les personnes qui viennent à l’Après-M pour aider, se faire aider et surtout s’entraider. Tout comme pour la raison d'être, le processus de formation aux activités et à la complexité du projet se fait de manière informelle lors de discussions autour d’un café, en observant les autres. C’est aussi au travers d’artefacts culturels que le message se transmet. Du détournement de l’enseigne, aux devises en passant par la peinture et les jeux de mots, tout est utilisé pour donner un sens et expliciter des luttes passées ou à venir de manière accessible. A·P·R·E·S pour association pour une restauration écologique et social. LABES (“ça va” en arabe) désigne les Laboratoires d'expérimentation sociétal. Notons que la marque et les slogans détournés ont été déposés afin de permettre une «franchise sociale » que d’autres établissements pourraient reprendre sous réserve de la signature d’une charte
Aussi, pour intégrer les habitants du quartier dans le collectif, des moments de célébration sont organisés et proposent des activités qui s’inscrivent dans la culture populaire locale (barbecue, tournoi de foot, concerts) et qui sont relayés par des figures emblématiques (DJ Kheops d’IAM, des joueurs de l’OM, des acteurs de Plus belle la vie…). Même dans les montages juridiques complexes comme la SCIC, il est proposé aux donataires des adhésions suspendues (pour une part acheté, une part offerte à un habitant du quartier, une sorte de promo en quelque sorte) afin que des habitants tirés au sort puissent avoir un pouvoir légal de décision.
Un accueil inconditionnel
« Comme vous êtes, vous venez », tel est l’esprit du lieu. En pratique, il y a toujours quelqu’un pour vous accueillir avec un café, vous sourire et vous demander comment ça va, vous faire faire le tour des lieux, vous expliquer les luttes passées ou les enjeux à venir. L’Après M accueille tout le monde sans distinction de religion, de couleur ou autre. Mieux, on met ici un point d’honneur à ne pas faire de différences entre les aidants et bénéficiaires. On ne veut pas que « la main qui donne soit au-dessus de la main qui reçoit ». Ici , « on donne des poissons mais on apprend à pêcher ». D’ailleurs, tout le monde peut contribuer quels que soient ses moyens, sa CSP, ses invalidités, ses problèmes et ses savoirs. Il suffit d’observer Kamel, que l’on surnomme “l'hôte” pour comprendre ce que l’égalité veut dire. Malgré son emploi du temps chargé et sa renommée, il adopte une posture très humble et quasi christique, toujours au service du plus démuni. Respect !
Cet article a été rédigé dans le cadre de la web-série "Points communs, les communautés on en fait toute une histoire". Plongez dans l'univers des collectifs ici.
L’Après-M, nouvel épisode
Suite au lancement de la SCIC pour racheter les murs du restaurant à MacDonald’s et au recrutement de 3000 sociétaires, la mairie de Marseille a finalement fait valoir son droit de préemption pour racheter le restaurant. Si la mairie actuelle semble voir l’Après-M d’un bon œil et vouloir l’encourager en leur concédant un bail précaire, les aléas politiques ne garantissent pas l’indépendance du collectif sur le long terme. Le prochain défi du collectif ? Montrer qu’il est possible de faire fonctionner eux-mêmes le restaurant, dans des conditions conformes aux normes légales et en assurant sa viabilité économique. S’il réussit ce tour de force, le collectif envisage d’ouvrir une franchise de social fast-food en plus de son activité de banque alimentaire. “Tant que les gens auront faim, on sera là pour leur donner à manger !“
L’Après-M en chiffres
- 150 000 colis distribués depuis le début du confinement
- 3000 sociétaires ayant souscrit à la SCIC
- 48 apparitions média : de mars attaque au New-York times
- Un noyau dur de 30 bénévoles qui viennent très régulièrement
- Presque 50 visiteurs curieux qui viennent s'inspirer, tous les jours
Le point de vue d’Irène
“L’après M, c’est une utopie qui se matérialise au cœur des quartiers nord, une hétérotopie à la Michel Foucault, où les règles sont autres. Elle donne à voir qu’il est possible de faire autrement, qu’une histoire partagée, des liens, des valeurs et des objectifs communs permettent de déplacer des montagnes. Elle est la preuve que les quartiers défavorisés ne sont pas condamnés au béton gris ; que l’écologie n’est pas l’apanage des classes supérieures ; qu’il n’est de vraie richesse que d’amitiés… L’Après M montre jour après jour que la légitimité se construit par l’action sur le terrain, en occupant des espaces désertés par les différents acteurs publics et privés.”
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