Quelle politique salariale mettre en place dans une organisation décentralisée ? Chez makesense, on tente de faire rimer responsabilité, auto-détermination et équité. Explications signées Mathilde Thorel et Antoine Menard.
Depuis plus de 12 ans, chez makesense on cherche à explorer de nouveaux modes d’organisation qui permettent de favoriser l’autonomie et le pouvoir d’agir de nos collaborateurs. Cela s’est d’abord traduit par nos modes de prises de décisions, puis notre structuration interne et légale… Quand est venue la question des salaires, nous voulions aller plus loin. Il nous a fallu réfléchir à une politique de rémunération, définir une grille de salaires et mettre en place un processus de décision et d’application. Tout un programme !
Le sujet de la rémunération est aussi fondamental que délicat. Il touche à la fois au bien-être et à la capacité à se projeter de chaque collaborateur, mais également à la pérennité financière de l’organisation. En cela, le modèle de rémunération est un révélateur particulièrement fort de la “vraie” culture d’entreprise. Parler de bienveillance ou d’impact c’est une chose, mais comment tout cela se traduit quand on parle d’argent ?
#1 - La philosophie du modèle de rémunération chez makesense
À quoi sert un modèle de rémunération mis à part verser des paies en fin de mois ? Chez makesense, il doit permettre à chaque collaborateur et chaque collaboratrice de se projeter sereinement et à long-terme dans l’organisation. C’est pourquoi, le modèle doit offrir un parcours clair et équitable à tous, être compréhensible et accessible à tous et toutes.
Nous savons que notre modèle sera amené à évoluer au fil des années, mais nous avons défini 3 piliers intangibles à notre politique de rémunération.
La transparence : nous souhaitons une transparence dans le processus d'évolution du modèle (qui le fait évoluer ? qui est sollicité et comment ?), dans les modes de décisions d'application d'une évolution salariale (qui et combien ? qui décide ?), et entre les salariés de makesense (qui se positionne comment ?).
→ Implication : les collaborateurs ont accès au niveau de salaire de leurs collègues et sont légitimes pour intervenir dans les demandes d’évolution de leurs co-équipiers.
L’auto-détermination des salaires : la culture d’autonomie et la responsabilité individuelle sont si fortes chez makesense qu’il nous paraissait impensable que certaines personnes soient plus légitimes que d’autres pour décider des salaires. Nous souhaitions que chacun soit maître de son évolution salariale. Cela implique bien évidemment d’outiller et d’accompagner chacun et chacune à se sentir légitime pour faire ses demandes (ces process sont détaillés plus bas).
→ implication : c’est le ou la salariée qui décide de son niveau de salaire.
L’équité : nous avons un seul et même modèle, appliqué à tous et toutes de la même manière, et donnant les mêmes chances de départ. Et nous aspirons à une cohérence globale des salaires : le plus haut salaire ne peut pas être 4 fois supérieur au plus bas salaire. À titre de comparaison, la loi ESS permet des écarts de salaire de 1 à 7.
→ implication : nous évaluons les salaires selon la valeur apportée à makesense et non pas une “valeur marché” hexogène.
À partir de ces 3 piliers, nous avons construit une grille de salaire transparente, qui ne classe pas les salaires en fonction du métier ou du parcours scolaire, et offre les mêmes chances de progression à tous.
#2 - La grille de rémunération makesense
Chez makesense, le salaire est l'addition de 4 composantes : la base de rémunération, + la contribution au collectif, + le niveau d'autonomie + l’ancienneté chez makesense.
Vous pouvez trouver tous les détails de définition des composantes ici. Ce que vous pouvez retenir dans les grandes lignes :
- La base de rémunération est établie à 25 000€ en 2021 (124% du SMIC) ;
- La contribution au collectif valorise le respect des valeurs, le périmètre des missions et la contributions aux projets de makesense ;
- L’autonomie permet de valoriser les expériences et la maîtrise de son métier ;
- L’ancienneté célèbre la fidélité à makesense et permet de revaloriser son salaire chaque année.
Ces variables sont très spécifiques à makesense, à nos réalités et aux évolutions internes que nous souhaitons promouvoir. Par exemple, aucune variable ne valorise le fait de manager des équipes (ça tombe bien, nous n’avons pas de managers) ou d’atteindre des objectifs personnels (nous n’avons pas de bonus ou de variables). À l’inverse, nous préférons valoriser des évolutions traduisant l’influence grandissante au sein de makesense, qui peut se traduire par deux profils-type :
- Les défricheurs : ils ont la bougeotte et initient de nombreux projets/programmes chez makesense pour continuer à innover
- Les experts : ils consolident des expertises clés pour l’organisation et nous professionnalisent
#3 - Comment augmente-on les salaires chez makesense ?
Comment s’augmenter dans une organisation qui n’a ni chef, ni manager ? Chez makesense, chaque personne salariée est responsable de son évolution. Lorsqu’elle a le sentiment de maîtriser l’ensemble des acquis d’un palier (variable Autonomie ou Contribution au collectif), elle réunit autour d’elle son Comité de Développement (une instance qui remplace les traditionnels entretiens annuels et permet de rassembler entre 4 et 6 de ses pairs pour faire le point en toute transparence sur ses missions, ses points forts, ses axes d’amélioration, ses perspectives et sa rémunération). C’est donc dans ce cadre qu’elle présente sa demande d’évolution et obtient feedbacks et avis. Ce comité de développement donne son avis sur la demande d’évolution ce qui permet à la personne salariée de décider si elle officialise ou sa demande d’évolution dans la grille.
Cette demande est ensuite transmise au Comité de Rémunération (5 collaborateurs et collaboratrices élues par les salariés) qui se charge de vérifier que toutes les personnes qui demandent une augmentation de salaire ont bien respecté l’étape du Comité de Développement, et que les augmentations ne fragilisent pas les budgets des équipes. Ce Comité de Rémunération émet ensuite un avis complémentaire qui reste un avis. La personne concernée peut décider de maintenir ou non sa demande, elle reste décisionnaire de son évolution salariale, étant informée de l’avis de ses pairs et de la santé financière de son équipe.
L’ensemble des décisions d’augmentation sont publiques, et n'importe quel collaborateur ou collaboratrice peut intervenir et donner son avis sur les évolutions salariales des autres.
Après 3 ans d’expérimentation du modèle, nous pouvons tirer quelques conclusions des avantages (et difficultés) de ce fonctionnement.
- Valoriser les individus autrement que par le salaire
Une grande réussite de ce modèle est d’avoir réussi à déplacer le sujet de la valorisation individuelle par la reconnaissance de la progression par les pairs sur la validation d’acquis et non sur un montant de salaire. D’ailleurs, il arrive très fréquemment que des collaborateurs demandent à ce qu’on reconnaisse leur passage de palier, sans demander l’augmentation de salaire associée. - Offrir des perspectives d’évolution
Le modèle de rémunération est de plus en plus perçu comme un modèle d’évolution par les collaborateurs et collaboratrices qui y trouvent leurs prochaines étapes de progression et de contribution au collectif. - Ciao la négo
Si elles prennent du temps à être édictées (il faut accepter que tout ce process prend du temps), les règles du jeu sont claires et ce sont les mêmes pour tous et toutes. Le Comité de Développement permet au salarié de témoigner de son évolution en reprenant la grille, et de justifier sa demande d’évolution. De même, au moment des recrutements, nous proposons aux candidats de s’auto-évaluer sur la grille salariale, ce qui nous permet d’avoir des bases de discussion équitable pour parler rémunération.
Il est intéressant de noter que lors des enquêtes auprès des collaborateurs makesense, le modèle de rémunération ressort comme étant une grande fierté du modèle de gouvernance makesense. Il est encore perfectible, et évoluera au fil des années, mais nous serions ravis qu’il inspire d’autres organisations. Pour ceux qui auraient envie de lancer un chantier autour de leur modèle de rémunération, on vous en dit plus sur comment nous nous y sommes pris dans un tout prochain article.