Un article augmenté avec une base de données recensant de nombreuses plateformes.
Les choix politiques sur la priorisation des actions pour l’environnement défient souvent le bon sens. On limite souvent l’impact environnemental à l’empreinte carbone ; les yeux sont rivés sur le transports, et quand on parle de bâtiment, on se concentre quasi essentiellement sur la consommation énergétique durant la phase d’utilisation.
Pourtant l’impact environnemental du BTP est colossal. Quand on regarde l’intégralité du cycle de vie des bâtiments, l’empreinte liée à l’extraction et au traitement de fin de vie des matériaux est au moins aussi importante que celle liée à la phase d’utilisation. Cet angle mort est aujourd’hui heureusement au centre de l’attention d’acteurs professionnels de toutes tailles grâce à trois évolutions notables :
- Le succès des expositions Terres de Paris et Matière grise présentées au Pavillon de l’Arsenal ou au festival Bellastock, a pu mettre en exergue auprès du grand public, des décideurs et des professionnels, l’envergure des gaspillages dans le secteur, mais aussi les solutions existantes ou historiques en France et dans le monde, pour réutiliser des éléments et des matières biosourcées ou de seconde main.
Festival Bellastock 2017 sur l’île saint Denis
Le développement de plateformes d’échange de matières et matériaux comme Rotor en Belgique, Soldating en France, ou au sein de la mairie de Paris a confirmé qu’il était possible dans certaines conditions de trouver des modèles économiques pérennes et que certains professionnels du secteur pouvaient s’engager dans le réemploi pour des motivations sociétales mais aussi économiques dans une démarche de réemploi. Malgré ce discours encourageant, une étude de l’ADEME a mis en lumière que les obstacles psychologiques, réglementaires, économiques sont encore trop importants pour permettre une généralisation de ces pratiques.
Il y a cependant un facteur qui a accéléré fortement la nécessaire mutation du secteur. La loi de transition énergétique a stipulé que 70% des déchets du BTP devront être “revalorisés” en 2020 et posé un ultimatum pour nombre de gros acteurs et a créé un effet d’aubaine pour de nombreux créateurs d’entreprises.
Soldating, l’exemple d’une plateforme qui marche
- Les plateformes digitales (ou physiques dans une moindre mesure) de réemploi pour le BTP ont commencé à fleurir, mais, si elles sont une condition nécessaire, elles ne sont pas pour autant suffisantes pour faire évoluer le secteur et nombre d’entre-elles risquent de louper le coche : la faible structuration du secteur, le manque d’infrastructures et de formation, la dispersion des bases de données, les angles morts en terme d’offres de service risquent de compromettre le succès et la pérennité de ces initiatives.
Dans une perspective de contribuer au potentiel de transformation sectoriel de ces plateformes, Future of Waste a collecté sept témoignages de plateformes et met à disposition une base de données ouverte et collaborative afin de :
- Comprendre les bonnes pratiques observées dans d’autres secteurs.
- Faire connaître les offres existantes pour développer des solutions complémentaires plutôt que concurrentes.
- Encourager le développement d’offre de services sur les goulets d’étranglement de la chaîne de valeur.
Solaal et la prévalence des contacts téléphoniques
“Solaal a été créé en 2013, emploie 2 personnes et a permis le don de 10 000 tonnes de nourritures, soit l’équivalent de 21 millions de repas. Nous travaillons avec les associations d’aide alimentaire et les agriculteurs.”
De l’importance du téléphone
“Une plateforme web, ça pourrait fonctionner pour nous seulement s’il n’y avait pas l’humain derrière. L’agriculteur associe très souvent l’informatique avec l’administration et passe peu de temps derrière son ordinateur. Il existe de nombreuses plateformes numériques pour le don alimentaire, comme Phénix par exemple, mais eux fonctionnent avec des supermarchés et des grossistes qui ont des employés sur place et des infrastructures et des produits adaptés et déjà très informatisés alors que nous travaillons avec des produits qui ne sont souvent même pas encore récoltés [Solaal organise des glanages]. Côté associations, nombreuses sont celles qui ne fonctionnent pas avec des ordinateurs, ont des bénévoles qui ne regardent pas régulièrement leur adresse mail. Pour toutes ces raisons nous fonctionnons essentiellement par téléphone, il aurait été trop lourd de prendre le temps de sensibiliser toutes nos parties prenantes à un nouvel outil et on préfère expérimenter localement au cas par cas la rencontre entre ces deux mondes très différents.”
Trouver les bénéficiaires
“Les bénéficiaires de l’aide alimentaire ont aussi leur culture et leurs préférences et nous avons récemment connu des difficultés pour deux types de produits :
L’embargo sur la Russie nous fait gérer des quantités faramineuses de pommes Granny qui sont appréciées par les Russes mais ne sont pas forcément aimées par les Français. Autre exemple, la saison des endives s’est terminée plus tôt que prévu et on a eu 80 tonnes d’endives, elles ont été redistribuées localement sur la zone de production (dans les Hauts-de-France) mais on a dû aussi trouver des solutions pour trouver des preneurs beaucoup plus loin. On a donc travaillé avec des transporteurs pour qu’ils fassent le transport vers d’autres associations dans d’autres régions de France. On a aussi fait un partenariat avec la fondation Carrefour qui est un des membre fondateur, afin de construire une solution de reverse logistique. ”
Les services connexes
“Les transporteurs peuvent eux aussi défiscaliser ce service connexe et essentiel. Nous avons fait un gros travail auprès des pouvoirs publics pour que, grâce à des fiches de suivi, d’autres acteurs de la chaîne du don puisse intervenir sans s’handicaper mutuellement. Avant, les agriculteurs ne pouvaient pas bénéficier de la défiscalisation s’ils n’étaient pas les derniers donateurs, ce qui posait problème quand il fallait conditionner les œufs en barquettes ou transformer les pommes en compote.”
Encourager le premier don
“On part du principe qu’on ne veut pas bloquer un agriculteur qui veut faire du don, quand bien même c’est pour une petite quantité. On essaie de faire valoir auprès des associations le fait que c’est une occasion de rencontrer un donateur qui aura peut être ultérieurement de plus grandes quantités à donner. C’est la possibilité pour nous de systématiser chez l’agriculteur le réflexe du don après une première expérience réussie, si petite soit elle.”
Matabase et l’intégration d’une offre de service
“On a commencé par créer une base de données de matériaux biosourcés et de réemploi. Il en existait déjà chez des professionnels mais on avait trouvé cela trop coûteux pour un étudiant ou un entrepreneur de devoir débourser 200 € pour avoir l’accès. On a donc fait un tour d’Europe pour sourcer des matériaux. Il ne s’agit pas forcément de certifications officielles, car certains petits producteurs ne peuvent pas se les payer.
Sur notre plateforme, on offre de la visibilité aux fabricants et en échange ceux-ci ont envoyé des échantillons. Aujourd’hui, il y a 160 centres de formation qui ont ce panel qui est complété par plus de 300 références sur la base de données. Demain, nous comptons intégrer une plateforme de service et pouvoir nous interfacer avec des outils comme le BIM.”
La réserve des arts, la traçabilité pour une plateforme physique
“La réserve des arts a été créée pour soutenir le secteur culturel, mais aussi pour réduire les déchets. Elle a été créée en 2008 et on a fait les premières collectes en 2010. On a voulu répondre à un besoin car la région Île-de-France a constaté avec Ecoprod (TFI, France Télévisions, etc.) que l’événementiel et l’audiovisuel produisent beaucoup de déchets. C’est pourquoi on a monté un projet avec la réserve des arts dans un entrepôt à Pantin de 1 000m². Aujourd’hui, nous avons des taux de réemploi de 85%. On a jeté que 5 tonnes, soit 3% de ce que l’on a collecté.”
S’adapter au public
“De nombreuses personnes du BTP sont venues nous voir depuis, car nous sommes ce qui pourrait se rapprocher le plus d’une plateforme physique de réemploi de matériaux, quand bien même nous visons le secteur culturel, ce qui rend notre offre très spécifique. L’avantage de la cible de la réserve des arts, c’est que les gens s’inspirent des matériaux pour créer. Ils sont d’autant plus excités que ça change. Un décor n’a pas besoin de rester un décor et l’inspiration vient avec le contact visuel et physique avec la matière : on demande aux gens de venir sur place car la plupart du temps, ils repèrent quelque chose sur internet mais finissent par repartir avec quelque chose de différent de ce à quoi ils avaient pensé initialement.”
“La grosse problématique d’une plateforme physique, c’est la traçabilité : ici, tout est pesé, mesuré, pris en photo, mis en ligne, et présenté dans les espaces de vente. Nous n’avons pas du tout essayé de structurer l’ensemble du secteur, nous avons essayé et appris tout sur le tas en optimisant petit à petit nos moyens de stockage, notre logistique et nos savoirs en présentation, en scénographie.
On constate des situations paradoxales : sur l’ignifugation par exemple, du moment où l’élément est passé par l’étape déchet, c’est comme s’il avait perdu sa caractéristique. Je collecte des éléments ignifugés avec les PV correspondants, mais je ne peux pas les vendre comme tels : les services sécurité ne valideraient pas, alors que si je n’avais pas le statut de collecteur de déchet mais de démonteur ou de loueur, … il n’y aurait peut-être pas de problème. Cela me fait penser au témoignage de Patrick Bouchain relaté dans l’exposition Matière grise, à propos du Lieu Unique : il a classé une façade comme une œuvre d’art afin d’avoir le droit d’utiliser des éléments de réemploi.”
Co-recyclage, champion de la marque blanche
“On est Le Bon Coin du gratuit, une plateforme ouverte et gratuite qui permet aux entreprises et administrations de donner les objets dont ils n’ont plus besoin, en les accompagnant dans la seconde vie de leur mobilier, matières et objets. Nos principaux secteurs d’intervention sont les bureaux, l’hôtellerie restauration, l’événementiel et les chantiers. L’année dernière, on a traité 1 200 tonnes et depuis 3 ans et demi, on a eu plus plus de 15 000 personnes qui ont utilisé nos outils et ont ainsi pu nous faire des retours utilisateurs. Nos clients payent le service car on leur permet d’économiser de l’argent. Plutôt que de tout manutentionner pour mettre à la benne, on leur a trouvé des solutions qui leur coûtent moins cher, en plus d’être écologiques et solidaires. Depuis récemment, on a commencé à faire payer 5 € l’élément ou l’ensemble d’éléments de moindre valeur.”
“On a une approche très numérique. On développe beaucoup d’outils pour nos besoins et pour nos clients, qui vont des tâches d’inventaire, d’étiquetage, de logistique, jusqu’à la partie traçabilité en passant par des plateformes qui mettent en relation l’offre et la demande. Nous sommes en mesures de mettre ensuite à disposition de nos clients ces outils en marque blanche pour faire du réemploi en interne ou en externe en incluant la maintenance et les mises à jour.”
LAB ingénierie, assurer grâce à la confiance DB
“Je représente deux structures : LAB ingénierie, qui est un bureau d’études en environnement et Archétype, qui milite pour le réemploi des matériaux de construction. Nous faisons partie du REFER, qui est chargé de faire le lien entre les différentes ressourceries en Île-de-France et qui peut apporter son soutien à ces structures notamment via le financement.
Dans le cadre d’un déménagement par exemple où une entreprise va en remplacer une autre dans un bâtiment donné, il va y avoir des cloisons qui vont être abattues et jetées tandis que d’autres vont être produites et amenées. Notre travail est de diagnostiquer ces matières et tenter de trouver des exutoires en amont. Il faut être expert sur différents matériaux et corps de métier et assurer une communication fluide entre acteurs. On va ensuite mettre en place un lot de déconstruction puis identifier un chantier en construction ou en réhabilitation qui serait intéressé.”
“Malheureusement, des éléments comme des faux plafonds ou des moquettes ont une assez faible valeur marchande et c’est difficile de convaincre les décideurs avec l’argument prix, on peut cependant jouer sur d’autres leviers comme le CO2. Dans un bâtiment neuf, la matière grise qui est inclue dans les éléments est égale à l’énergie qui est nécessaire pour 50 ans d’utilisation du bâtiment. On a déjà beaucoup progressé sur les économie d’énergie à l’usage et la marge est désormais réduite. Par contre, sur les matériaux, il n’y a pas grand chose qui est fait et c’est là où l’on peut avoir un vrai impact.
Au niveau des débouchés, il est souvent avancé qu’une entreprise de construction va exiger des normes pour certifier la qualité des éléments de réemploi. Dans le bâtiment, 99% des normes ne sont pas obligatoires, elles servent avant tout à rassurer les assureurs. Pour le particulier, c’est très simple grâce aux assurances multirisques mais si on veut changer d’échelle, il faudrait des polices d’assurance adaptées aux chantiers professionnels de grande taille. Je pense qu’avec une bonne expertise métier, tout est assurable, même sans certification, tant qu’on a confiance dans les matériaux et dans les ouvriers qui vont les mettre en place.”
ORÉE, la montée à l’échelle industrielle
L’association ORÉE a 180 adhérents et structure son activité économie circulaire avec 3 entrées :
l’éco-conception et l’économie de la fonctionnalité
L’écologie industrielle et territoriale
Les filières de revalorisation comprenant 3 clubs métier
La valorisation des mousses et textiles
Les déchets des établissements recevant du public
La déconstruction
Chaque club métier permet d’échanger régulièrement et en toute confidentialité sur les évolutions réglementaires et les problématiques et de faire émerger des solutions industrielles viables. Nous travaillons à ce jour sur plusieurs questions clefs
Pourquoi les diagnostics chantiers sont si peu réalisés aujourd’hui ?
Comment assurer la traçabilité ?
Comment encourager la prescription du réemploi dans des cahiers des charges ?
Comment éco-concevoir en vue de la déconstruction ?
Quels sont les indicateurs de suivi de performance?
Quelles sont les filières de valorisation existantes?
Comment travailler avec les assurances?
Comment se référer au plan de prévention des déchets?
Cette année, on travaille sur les plateformes d’échange qui pullulent et qui vont de la simple mise en contact à la garantie. Nous avons identifié quels étaient les besoins des donneurs d’ordre (et constaté qu’aujourd’hui ils ne sont pas couverts par l’offre actuelle). Il y a des plateformes qui sont portées par des villes, des entreprises ou des recycleurs, mais elles sont encore souvent en développement, il est difficile d’identifier ceux qui vont être les grands acteurs. Parmi celles que nous avons répertoriées, la plupart sont sur internet avec une visée nationale mais il y a un certain flou sur les périmètres et la question se pose de savoir s’il ne serait pas mieux de fédérer les plateformes pour éviter qu’il n’y ait trop de recouvrement.
Conclusion
Il existe de nombreuses autres plateformes physiques et digitales, dans différentes régions, différents secteurs, proposant des services, des cibles ou des expériences utilisateurs variés. Certaines comme SolDating ont 10 ans d’expérience et incubent de nouveaux projets, d’autres comme Kaoukabtentent de permettre l’intégration des récupérateurs informels via une application. Certaines enfin comme Pompom à Delhi propose une expérience utilisateur plus léchée que Uber.
Nous vous proposons de prendre connaissance de celles que nous avons pu répertorier dans le tableur ci-dessous et de nous aider à compléter cette base de données en ajoutant celles que nous aurions pu oublier.